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Le serre-livres - Page 25

  • La poupée, de Daphné Du Maurier

    Des couples qui se perdent (mais s'étaient-ils jamais trouvés ? Ou, pour le dire autrement : s'étaient-ils jamais trouvés ailleurs que dans leur imagination et l'illusion grotesque des débuts fanfarons ?), un pasteur qui jouit d'une irrésistible aura, mais dont le cœur est rempli d'ordures, des désirs qui couvent sous la cendre et s'enflamment pour un infime semblant de braise, une île aux contours fantomatiques, sur laquelle il ne se passe jamais rien, sauf une fois, et ce sera la fois de trop : c'est tout cela que la plume de Daphné Du Maurier explore avec une précision d'horloger. Le style est limpide et pur. Par un joli tour de force, il se met, sans avoir l'air d'y toucher, au service des plus froides descriptions ! C'est avec beaucoup d'élégance et de panache que Daphné Du Maurier dépeint la cruauté, la bêtise, la duperie, les échecs, les mauvaises intentions cachées derrière une apparente bonté ! L'humanité semble ne jamais pouvoir trouver grâce à ses yeux. Nous sommes humains, trop humains, cruels, trop cruels, couards, trop couards sous le scalpel acéré de sa plume !

    La poupée est un recueil de nouvelles impitoyables. Le style, endimanché comme pour une fête mondaine, a la fureur d'un galop qui lacère tout sur son passage. À peine a-t-on commencé à admirer la robe des chevaux qu'ils vous foncent dessus !

    Voilà un petit joyau qui aurait pu s'intituler Contes de la cruauté ordinaire !

  • Martin Eden, de Jack London

    Difficile, voire impossible, de lâcher Martin Eden une fois qu'on s'est immergé dans cette lecture ! Et quand on arrive à la fin de ce roman, c'est lui qui ne vous lâche plus. Des scènes vous reviennent en mémoire, une impression vous poursuit, un vague à l'âme, une tristesse... Martin Eden, c'est l'histoire d'un homme issu des bas-fonds qui tente de se hisser plus haut que sa condition. Au moment où le lecteur fait sa connaissance, c'est un peu un ours mal léché, un marin qui a roulé sa bosse en divers endroits du globe. Il sent bruire en lui le besoin d'autre chose. Il est assoiffé de connaissances mais ne sait par où commencer pour se bâtir une culture solide. La rencontre avec Ruth, une jeune bourgeoise rompue aux dîners mondains, étudiante en lettres, va être décisive pour lui. Ruth va le mener vers certains auteurs. Martin tombe éperdument amoureux de cette jeune femme, et le trouble est réciproque. Ruth a bien du mal à se l'avouer dans un premier temps, mais elle finit par succomber au charme de cet homme en qui elle sent de nombreux possibles. Elle va corriger ses défauts de prononciation et de syntaxe. Martin se transforme en élève modèle, soucieux d'apprendre. Mais voilà qu'il se met en tête d'écrire, cela devient une obsession. Ruth ne voit pas cela d'un très bon œil, elle préférerait qu'il se forge ce qui serait à ses yeux (et aux yeux de ses parents !) une véritable situation. Martin s'y refuse, il se voue tout entier à son projet. C'est le phare qui le guide dans la nuit, il ne le perd jamais de vue. Peu à peu, cependant, Martin devient étranger au monde qui l'entoure. Les connaissances qu'il a emmagasinées l'ont certes conduit à lui-même, mais éloigné des autres. Il ne trouve pas réellement sa place parmi les intellectuels qui défilent chez les parents de Ruth. Il ne parvient plus à se sentir à l'aise avec les amis d'autrefois.

     

    Le succès finira par venir, accompagné de sévères désillusions. Une fois la reconnaissance littéraire acquise, Martin devient, comme c'est étrange, une espèce d'idole pour ceux-là mêmes qui autrefois lui fermèrent si souvent leur porte ! On pense à la chanson Les rapaces de Barbara, et l'humanité ne sort pas grandie, loin s'en faut, de ce constat amer...

  • Chronique d'hiver, de Paul Auster

    Chronique d'hiver, de Paul Auster, c'est une autobiographie qui passe par le corps, ses meurtrissures, ses cicatrices, mais aussi ses jouissances et ses gourmandises. L'écrivain américain explore son passé de façon originale : à travers ce que son organisme a éprouvé depuis la plus tendre enfance. Des visages défilent à tour de rôle, des êtres ressurgissent, qui furent aimés ou non. Certains se sont enracinés dans la vie de l’auteur : un fils issu d’un premier mariage malheureux, sa seconde épouse, Siri Hustvedt, et la fille qu’ils ont eue ensemble. Paul Auster écrit des pages magnifiques sur sa femme. Trente ans d’amour, c’est l’amour fol et plus encore ! A soixante-quatre ans, Paul Auster est toujours capable de s’émerveiller de la seule présence, à ses côtés, de cette femme aimée. On les sent unis par une profonde complicité. De lui, elle sait ou devine des choses qu’il ignore lui-même. D’elle il tire régulièrement chaleur et réconfort. Elle seule parvient à l’apaiser réellement lorsqu’il se sent paumé en cette vie. Et ce n’est pas rare ! Il décrit sans fard les épreuves qui l’ont marqué : la mort de ses parents, par exemple. Il ose dire sa faiblesse et c’est en cela qu’il tend la main au lecteur, sans le savoir. On se sent moins couard : ce que nous éprouvons face aux catastrophes qui parfois s’abattent en cascade sur nos têtes, Paul Auster l’a ressenti avant nous.

     

    On trouvera également, dans cette belle Chronique d’hiver, des passages déchirants sur le vieillissement et ce qu’il nous faut abandonner chaque jour de notre armure et de nos attachements divers et variés. Tenter de mourir aimable, telle était l’ambition de Joseph Joubert, et Paul Auster la fait sienne. Il sait que le pari est difficile, la tâche ardue et âpre, il prend en compte tous les aléas qui peuvent nous rendre un peu grincheux sur nos vieux jours : la dégradation, la dépendance vis-à-vis d’autrui, la dégringolade en enfance.

     

    Cette autobiographie a quelque chose de vivifiant. Mêlant à la fois le sublime et le douloureux, elle est, me semble-t-il, une ode à la vie et un chant de gratitude.