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Le serre-livres - Page 24

  • Souvenirs d'enfance et de jeunesse, de John Muir

    Il n'est pas rare que des écrivains nous tendent des passerelles vers d'autres auteurs. Qu'ils les citent comme ça, au passage, ou affirment haut et fort l'admiration qu'ils leur vouent, ils peuvent susciter chez le lecteur le désir d'aller creuser un peu. Dernièrement, dans Le garçon sauvage, très beau livre de Paolo Cognetti, j'ai lu pour la première fois le nom de John Muir. Je me suis renseignée sur sa vie et son œuvre et j'ai été subjuguée par cet homme, grand naturaliste né en 1838 (et mort en 1914), ayant fait preuve d'une grande conscience écologique. Il aida même à la mise en place des Parcs Nationaux.

    Hier, j'ai fini son récit autobiographique, Souvenirs d'enfance et de jeunesse. Le parcours de John Muir est passionnant. Écossais d'origine, il s'installa très tôt aux États-Unis avec sa famille. Celle-ci élut domicile dans le Wisconsin, en pleine campagne, et cela devait sans doute jouer un rôle capital dans le destin du jeune homme. Il vécut durant toute son enfance au contact de la nature et de toutes sortes d'espèces animales qui n'eurent bientôt plus aucun secret pour lui. La vie rude imposée par les travaux des champs ne l'empêcha pas de s'adonner à sa passion : la lecture. Et c'est ainsi qu'un jour il prit la décision de se réveiller toutes les nuits à une heure afin de pouvoir bénéficier d'une conséquente immersion totale dans les livres avant d'entamer sa journée de corvées physiques ! Sacrée résistance ! En même temps, quand on sait à quel point la folie de la lecture peut s'avérer dévorante, on n'est qu'à moitié surpris ! Combien d'enfants bernèrent leurs parents des années durant, faisant croire qu'ils dormaient bien sagement alors que sous la couverture flambaient une lampe-torche et une imagination aiguisée par toutes sortes de récits palpitants !

    Les souvenirs de John Muir sont souvent attendrissants, parfois désopilants. J'ai éclaté de rire à plusieurs reprises en les lisant. Un épisode m'a particulièrement amusée : ayant un jour désobéi à son père, le petit John devait subir une correction musclée. On envoya son frère chercher dans les alentours de quoi le fouetter. Celui-ci revint avec un énorme tronc d'arbre qui ne pouvait même pas passer la porte de la maison !

    Voilà un grand homme qui ne se prit jamais réellement au sérieux et qui souffrit même longtemps d'un manque de confiance en soi. La faute à l'éducation prodiguée par son père, nous explique-t-il, sans rancœur aucune.

    J'ai trouvé ce livre débordant de fraîcheur et de sagesse. John Muir aurait pu , selon ses dires, devenir millionnaire, mais il préféra devenir vagabond, persuadé qu'il était « plus important de vivre qu'obtenir de quoi vivre ». J'aime bien cette idée ! Elle nous ramène à l'essentiel, nous invitant à nous défaire de ce qui nous en détourne. Programme audacieux en cette rentrée !

  • Un bruit de balançoire, le dernier livre de Christian Bobin

    Christian Bobin est, je crois, le spécialiste de la nage à contre-courant ! L'époque est au misérabilisme ? Allons bon, il fera les louanges des petites joies, il dira avec bonheur le gracieux ballet des nuages dans le ciel, le chant des rivières ou celui d'un merle qui n'a rien à envier au génie de Jean-Sébastien Bach ! On prône l'oubli rapide et le nécessaire travail de deuil ? Peu lui chaut, il écrit, par-delà plusieurs décennies, à la compagne tant aimée et trop tôt disparue. Le siècle est tout sauf épistolaire ? Qu'à cela ne tienne, le voilà qui décide d'adresser des missives à des êtres, et même à des objets ! Son dernier livre, Un bruit de balançoire, est donc un recueil de lettres, bouteilles à la mer voguant vers de bien chanceux destinataires : des sœurs et des frères en écriture, des fantômes du passé venus illuminer le présent, des objets du quotidien. Ainsi ce pauvre petit bol, malencontreusement fracassé, et auquel son propriétaire endeuillé adresse des lignes émues, célébrant leur joyeux compagnonnage de tant d'années. C'est, de loin, le texte qui m'a le plus touchée dans ce recueil, je ne sais pas pourquoi ! Tout au long de ces pages brûlantes comme autant de soleils, Christian Bobin rend grâce à ce qui l'a embrasé et à ceux qui lui ont insufflé un peu plus de vie encore. La présence rieuse du poète japonais Ryokan, auquel il est fait plus d'une fois référence ici, semble veiller sur ce miraculeux ouvrage. C'est comme si d'étranges liens invisibles s'étaient tissés entre Izumozaki, village où naquit Ryokan, et le Creusot, où habite Bobin. Comme si le poète japonais avait fait rejaillir sa belle sagesse sur la vie et l'œuvre de l'écrivain français !

     

    Lire ce livre, c'est un peu comme butiner des fleurs aspergées de lumière. Ou, pour mieux coller à la saison actuelle, sauter de flaque en flaque, et joyeusement en plus ! On trouvera, sous chaque petite étendue d'eau, des univers entiers, des torches incandescentes et des féeries en flammes ! De quoi se nourrir d'étincelles...

    Un bruit de balançoire, dites-vous ? Voilà qui rappelle les tendres années et les jardins écrasés de chaleur qu'on délaisse parce que soudain l'on ne tient plus sous l'implacable soleil de plomb ! Dans la cour rendue à sa mélancolie privée d'enfance, demeure comme une musique : celle d'une balançoire qui danse encore au milieu des papillons !

  • Le garçon sauvage, de Paolo Cognetti

    Au moment où il abandonne sa vie milanaise pour aller passer quelques mois en montagne, Paolo Cognetti est à bout : il vient de passer un sale hiver, il ne parvient plus à écrire, ce qui équivaut à ses yeux à ne pas dormir et à ne pas manger. Il lit avidement les auteurs qui sont partis vivre dans la nature « des expériences de solitude » : Thoreau, John Muir et Élisée Reclus. N'en pouvant plus de sa vie de labeur, il décide de se mettre lui aussi en route, pour de longs mois en pleine montagne. Nous le suivons pour ainsi dire pas à pas. Loin de fanfaronner, il reconnaît ses limites et avoue ses fiascos. Ainsi, à son arrivée dans son petit cabanon de montagne (il emploie le mot italien baita), il se lance dans la culture d'un potager qui va bien vite partir en déconfiture. La solitude tant désirée lui pèse parfois. La nuit, il est aux aguets, le moindre bruit lui fait soupçonner et craindre la visite d'un inconnu agressif. Le voilà en proie à de terribles insomnies, guettant les premières lueurs de l'aube pour échapper à ses terreurs nocturnes. Le garçon sauvage est le récit d'un lent processus d'apprivoisement, d'une volonté de se laver d'un destin esclave, dans lequel l'auteur ne se reconnaît plus. Peu à peu, la compagnie des sommets et du grand air ravive l'inspiration qu'il croyait perdue. Il se remet à écrire et c'est une délivrance, c'est comme le jaillissement d'une cascade en milieu aride. Il se lie d'amitié avec quelques personnes. Leur présence discrète, à quelques encablures de sa baita, le rassure. Il écoute le murmure des ruisseaux, le chant du vent, se perd dans la contemplation des animaux sauvages qui l'entourent : renards, lièvres, chevreuils, chamois. Bref, il retrouve ce que tout homme civilisé risque de perdre s'il n'y prend garde : le lien avec la nature.

    J'ai dévoré ce livre en deux jours. Il faut dire qu'il n'est pas très épais et qu'il prend le lecteur par la main dès les premières lignes. On se laisse entraîner avec confiance. On sait que l'on ne sera pas déçu. Une voix, à n'en pas douter sincère, s'adresse à nous sans fioritures et sans claironner. Elle nous rappelle que même ce que nous avons désiré ardemment ne va pas forcément de soi une fois advenu ! La réalisation de nos souhaits les plus profonds exige de nous que l'on y consacre un certain travail, nous dit Paolo Cognetti, nous enseignant du même coup, par son expérience somme toute pas si ratée, que le jeu en vaut la chandelle.

    Voilà une lecture vivifiante, qui fait du bien en cette presque veille de rentrée. Comme j'aimerais, moi aussi, pouvoir me sauver dans un endroit quasi désert où la folie des agendas et des échéances à tenir ne viendrait pas me rattraper ! Comme il serait jouissif de préparer mon escapade avec le plus grand soin, laissant mystérieusement derrière moi, sur la porte de ma salle de classe, par exemple, ces mots de Cognetti : « Le monde deux mille mètres plus bas semblait appartenir à une autre planète : avec ses voitures qui allaient et venaient, des chantiers à perte de vue, ces villages qui avaient crû outre mesure, une fourmilière industrieuse qui paraissait si absurde vue de là-haut, quand la vie pouvait se résumer à brouter un peu d'herbe et à bronzer au soleil ». Qu'il est bon de rêver à l'impossible !