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Le serre-livres - Page 29

  • Was soll aus dem Jungen bloß werden ? Oder : Irgendwas mit Büchern, un livre de Böll

     

    Heinrich Böll est né le 21 décembre 1917. Il a seize ans quand Hitler arrive au pouvoir. Dès le début, tout son être se révolte contre le nazisme. Il déteste les bruits de bottes, les uniformes, tout ce qui exalte l'extrême virilité et n'est en définitive -le jeune homme qu'il est à ce moment-là le ressent très fortement- qu'une apologie de la violence sous toutes ses formes. C'est une période durant laquelle il souffre également chroniquement d'atroces maux de tête. Avec le recul, il se demande si cette pathologie ne fut pas une réaction physiologique à une idéologie qu'il rejetait de toutes ses fibres. « Das mag schon sein », ajoute-t-il, « denn ich war gegen die Nazis auch allergisch ». Toujours est-il que la maladie en question disparaîtra immédiatement après la Seconde Guerre mondiale et ne se manifestera plus jamais.

    Was soll aus dem Jungen bloß werden ? Mais que va devenir ce garçon ? Telle est l'interrogation qui hante son entourage. Le jeune Heinrich Böll est assez avare de prouesses en matière scolaire ! Il fait le nécessaire pour se maintenir à flot, mais qu'on n'aille pas lui demander de réaliser des exploits, peu lui chaut ! Il ne sait pas vraiment ce qu'il veut devenir plus tard. Irgendwas mit Büchern, qui deviendra le sous-titre du livre, est la réponse qu'il pourrait faire à ceux qui s'inquiètent pour lui. D'accord, il ne sait pas encore très bien à quoi ressemblera son avenir, mais il pressent qu'il doit s'orienter vers quelque chose qui lui permettra d'être au contact des livres. Bibliothécaire ? Pourquoi pas ? Quand il y réfléchit de plus près, pourtant, le jeune homme est pris de panique : s'il doit passer sa vie à enregistrer des emprunts des livres de Hanns Johst ou de Hans Friedrich Blunck (deux écrivains ayant totalement embrassé l'idéologie nazie), autant renoncer. Il finira par trouver une place d'apprenti dans une librairie où les théories nauséabondes n'auront jamais cours, Gott sei Dank !

    Ce livre ne retrace que quelques années du parcours de l'écrivain allemand. Des années sombres parce que marquées par la gangrène nazie, mais éclairées toutefois par le soutien des livres, la découverte des premiers émois amoureux et une soif de vivre qui l'emporte malgré tout sur le désespoir au cœur de la tourmente. Irgendwas mit Büchern : on peut dire que le gamin qui donnait du fil à retordre à ses parents et à ses profs avait une sacrée intuition ! Il deviendra l'un des plus grands écrivains allemands du vingtième siècle !

     

  • Immortelle randonnée, de Jean-Christophe Rufin

     

    Au moment où Jean-Christophe Rufin s'en va par monts et par vaux pour rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle, il est déjà bardé de divers titres de noblesse : prix Goncourt 2001 pour Rouge Brésil, académicien depuis 2008, écrivain de renom. Il ne part pas dans l'optique de se défaire peu à peu de cette belle importance. Il ne sait pas réellement quel est son objectif. Celui-ci prendra corps en cours de route. Au moment où j'écris ces lignes, me reviennent en mémoire des mots que j'ai souvent entendus en Allemagne : Der Weg entsteht im Gehen, ce qui revient à dire que le chemin naît sous les pas du marcheur, à mesure que celui-ci avance. Je me renseigne un peu et m'aperçois que ce que je prenais pour un adage germanique est en fait un vers tiré d'un poème d'Antonio Machado. Un Espagnol, comme par hasard ! Bref... Tout cela pour dire que Jean-Christophe Rufin verra, lui aussi, le chemin naître sous ses pas. Il ne s'agit pas que d'un parcours au sens propre, bien entendu. Les kilomètres avalés s'accompagnent également d'un cheminement spirituel. Il se fait progressivement et presque à l'insu du voyageur. Au fil des jours, Jean-Christophe Rufin s'abandonne sans complexes aux vertus de la crasse : celle-ci, à mesure qu'elle le recouvre, le dépouille. D'abord très seul, par choix du reste, notre chemineau va ensuite faire de multiples rencontres qui vont le nourrir, l'éclairer sur lui-même ou sur l'humanité en général.

    Très éclairant aussi, le contenu de son sac à dos. Jean-Christophe Rufin comprend qu'il résume à lui seul les craintes, voire les phobies, de son propriétaire. Au fil du temps, le barda s'allège, comme celui qui le porte. Finalement, ce n'est pas tellement la destination qui compte, c'est la manière dont on y parvient, les découvertes que l'on fait en route, et la fine strate de lumière qu'elles déposent sur la mémoire.

    Depuis l'enfance, j'adore les lectures qui me secouent comme des électrochocs et qui laissent des traces indélébiles de leur flamboyant passage dans ma vie. Je ne suis jamais seule puisque mille livres cheminent avec moi. Celui de Jean-Christophe Rufin sera désormais de la joyeuse troupe qui m'accompagne !

    Il y a quelques années, j'avais lu un autre témoignage sur Saint-Jacques-de-Compostelle : Ich bin dann mal weg, de Hape Kerkeling. L'auteur disait en préambule de son récit que le Chemin ne posait à chacun qu'une seule et même question : « Qui es-tu ? ». Si l'on en croit Jean-Christophe Rufin, la réponse vient à point à qui sait ne pas l'attendre !

     

     

    P.S. : Je vous prie de bien vouloir excuser le style confus de ce billet. Je viens de l'écrire avec le ronron d'une tronçonneuse dans les oreilles !!

  • Douglas Kennedy ou de la difficulté d'être (heureux, soi-même, équilibré, tout ça !!)

     

    Murmurer à l'oreille des femmes : le titre sonne comme une promesse sucrée. Mais qu'on n'aille pas s'imaginer que nous voilà partis pour une douce musiquette qui viendrait tendrement se déposer dans notre conduit auditif, mélodie du bonheur, et tutti quanti ! D'ailleurs, en anglais, le livre s'appelle Do you know what your problem is and other stories. Et il s'agit bien de problèmes ici, et même en pagaille ! On pourrait presque retourner le titre de la façon suivante : Do you know what your story is and other problems ! Voici douze histoires un peu déjantées, voici des êtres qui marchent à côté de leurs pompes, parfois à côté de leur véritable identité. Car, souvent, les personnages de Douglas Kennedy sont un peu, beaucoup paumés. Ce sont des antihéros jusqu'à la moelle. En général, ils n'ont pas réglé une histoire d'amour qui remonte à un certain nombre d'années. Ou bien ils sont enfermés dans un piège qu'ils ont tout bonnement appelé à eux, en prenant soin de construire eux-mêmes la cage dont ils ne parviendront que difficilement à scier les barreaux : relation bancale, lien dont ils n'arrivent pas à se défaire, avec une épouse tyrannique, colérique, hystérique. Parfois aussi, ils cumulent les deux enfers : l'histoire d'amour passée qui vient déborder sur le présent et l'enfermement dans quelque chose qui ne leur convient absolument pas ! Ils n'ont la plupart du temps pas de mots assez cruels à leur propre endroit : ils se disent minables, ratés, lâches. Et c'est en cela qu'ils sont infiniment attachants. Ils sont tellement proches de nous et de nos failles !

    J'ai découvert Douglas Kennedy grâce à Toutes ces grandes questions sans réponse. Dans ce livre, l'écrivain revient sur sa vie familiale, son parcours professionnel et ses choix. Une des innombrables questions auxquelles il ne trouve pas de réponse est celle-ci : pourquoi, de deux maux, choisissons-nous souvent le pire, malgré les beaux proverbes dont nous sommes pétris depuis l'enfance ? La même interrogation revient sous sa plume dans Murmurer à l'oreille des femmes. Je cite : « Car enfin, ne nous arrive-t-il pas trop souvent de nous écarter du chemin de la félicité pour emprunter ceux qui finiront par nous faire du mal ? » Douglas Kennedy n'a pas de réponse. Il ne cherche pas forcément à en trouver une, d'ailleurs. Il ne juge pas, il constate. C'est pourquoi la lecture de ses livres nous fait du bien !