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Le serre-livres

  • Guy Goffette, compagnon de route...

    Aimez-vous Guy Goffette ? Vous ne le connaissez pas ? Ne rougissez pas, il ne vous en aurait pas voulu ! Si j'ai eu la chance de le lire et même de le côtoyer souvent à une époque, c'est grâce à sa venue en Lorraine, il y a de cela presque trente ans : il avait décidé de rééditer comme il se devait le poète lorrain Lucien Becker, né à Béchy, petit village situé tout près de chez moi. Guy Goffette était venu parler de Becker dans la ville où celui-ci avait vécu : Dieuze. J'avais été subjuguée par la manière dont il avait présenté le poète qu'il aimait tant. Et j'avais alors fait d'un poète deux coups (pardonnez-moi ce mauvais jeu de mots) : j'avais acheté le recueil de poèmes de Lucien Becker, ainsi que plusieurs autres de Guy Goffette. Nous avions longuement discuté, lui et moi. J'entamais alors ma carrière de prof. Guy m'avait clamé son amour de la langue allemande. Il m'avait prédit un bel avenir dans le métier dans lequel je débutais. Il était persuadé que je saurais séduire mes élèves. Je ne sais pas si j'ai été à la hauteur de sa prédiction, mais je sais qu'elle me donna des ailes et que j'y pensai souvent par la suite.

    Lorsque nous fîmes connaissance, je venais d'apprendre que j'allais effectuer la rentrée à venir à Vouziers, dans les Ardennes. À ce moment-là, Guy habitait à Charleville-Mézières. Il me donna généreusement son adresse en me disant : « Passez me voir ». Ce que je fis régulièrement lorsque je fus installée à Vouziers. Chez lui, un soir d'automne, il me fit découvrir les entretiens de Paul Léautaud, écrivain que je ne connaissais alors que de nom. Nous passâmes un certain nombre d'heures à écouter attentivement l'un des maîtres de Goffette.

    En juin de l'année suivante, je quittai les Ardennes. Guy et moi nous écrivîmes un peu, puis de moins en moins. J'eus la chance de le revoir parfois, notamment à des salons du livre. Et également à une matinée consacrée à Verlaine à la médiathèque de Metz, puis à la librairie L'Autre Rive à Nancy. Je ne perdis jamais de vue son œuvre. Je crois que j'ai à peu près tous ses livres, dont certains ornés de belles dédicaces de sa part. Il avait une écriture un peu surannée, que j'aimais beaucoup.

    En 2021, ne disposant plus de son adresse (je savais qu'il avait quitté Charleville depuis longtemps), je décidai de lui envoyer un petit mot chez son éditeur et employeur (il y fut lecteur), Gallimard. Envie de lui exprimer ma gratitude. De lui dire que ses livres m'avaient aidée à traverser la vie. Eh oui, je suis comme ça : une incorrigible admiratrice qui dit ses innombrables admirations ! C'est ainsi que j'ai écrit récemment à Jérôme Garcin aussi, pour les mêmes raisons (et il m'a répondu par une très jolie carte postale que je garde précieusement). Bref... En 2021, Guy Goffette m'envoya à son tour quelques lignes. Que je garderai précieusement aussi !

    Ses plus beaux écrits selon moi ? Sans doute ses poèmes. Petits exemples, tirés de La vie promise :

    « la beauté, c'est que tout

    va disparaître et que, le sachant,

    tout n'en continue pas moins de flâner ».

     

    « La nuit

    tombe, l'aube se lève, un été a passé.

    Déjà, disent les fumées du hameau

    tandis que des animaux sans colère continuent

    d'amasser l'or du temps, l'or

     

    de nos yeux avides et si vite fermés ».

     

    Mais il y a aussi Verlaine, d'ardoise et de pluie, Elle, par bonheur et toujours nue, et surtout Géronimo a mal au dos, livre dans lequel Goffette raconte sa relation tourmentée avec son père. C'est très touchant. On ne sort pas indemne de cette lecture qui vous transperce.

     

    Guy Goffette s'est éteint le 28 mars dernier, je l'ai appris en écoutant La librairie francophone, et cette mort me gâche un peu le printemps... Adieu, cher ami. Je vous promets que vous continuerez de cheminer longtemps à mes côtés. Aussi longtemps que je vivrai !

  • Bernhard Schlink était à la salle Poirel, à Nancy, hier soir

    En 1998, je lisais Der Vorleser (Le Liseur) pour la première fois. Je l'ai relu une fois depuis. Je me souviens encore très précisément de l'émotion qui fut la mienne à la découverte de ce roman hors du commun. Le narrateur, Michael Berg, raconte ici l'histoire d'amour qu'il a vécue, quand il était adolescent, avec Hanna Schmitz, de vingt-et-un ans son aînée. Je ne veux pas tout dévoiler de l'intrigue, au cas où vous n'auriez pas lu ce livre. En tout cas, je peux dire qu'on trouvera là les plus belles pages qui aient jamais été écrites sur la culpabilité. De lancinantes questions taraudent Michael lorsqu'il apprend quel rôle a joué, durant la Seconde Guerre mondiale, la femme qu'il a aimée. Une question, en particulier, le hante : avoir frayé avec une coupable fait-il de lui un autre coupable ? En filigrane, c'est toute l'histoire de l'Allemagne qui s'inscrit dans ce questionnement qui ne trouvera jamais de réponse.

    Et voilà qu'hier soir, grâce aux rencontres du Livre sur la Place, Bernhard Schlink se tenait face à un public fourni, salle Poirel, à Nancy. Oui, à Nancy ! L'auteur était interviewé par Sarah Polacci et traduit, avec brio, par Bertrand Brouder. Il fut principalement question du dernier roman de Schlink, La petite-fille (Die Enkelin en allemand). Je n'ai pas encore lu ce livre, mais ça ne saurait tarder. Les thèmes qui s'y déploient font partie de mes « dadas » : le roman raconte la vie d'une femme, Birgit, qui, aidée par Kaspar (qui deviendra son mari), a fui la RDA pour s'installer en Allemagne de l'Ouest. Avec tous les sacrifices que cela implique. Notamment un, et pas des moindres : en quittant son pays, Birgit a également laissé derrière elle une fille qu'elle a eue avec un Allemand de l'Est. À la mort de Birgit, Kaspar découvre l'existence de cette fille et part à sa recherche.

    Tout au long de l'entretien, Sarah Polacci évoque les sujets qui traversent le roman : la difficulté à habiter le monde, à y trouver un chez-soi (et Bernhard Schlink de répondre que l'homme ne trouve jamais de véritable lieu à soi en ce monde), les incompréhensions persistantes entre les Allemands de l'Est et ceux de l'Ouest (l'auteur se dit pourtant optimiste : il pense que le temps finira par gommer ces incompréhensions), l'importance de l'art. À la fin, Sarah Polacci parle du retentissement qu'a eu La petite-fille en France : 60 000 exemplaires vendus. Bernhard Schlink s'en réjouit et souligne un fait qui m'a souvent frappée moi aussi : si les politiciens français et allemands ne font plus grand-chose pour le rapprochement de nos deux pays, la littérature a encore ce pouvoir. Je déplore souvent le manque d'implication des politiques, encore plus en cette année 2023 qui est celle des soixante ans du traité de l'Élysée. De part et d'autre de la frontière, des discours creux. Des promesses que la réalité ne permettra pas de tenir. Moi qui enseigne l'allemand et assiste à la progressive disparition de cette langue dans un grand nombre d'établissements scolaires, je ne peux que me désoler. Heureusement, la ville de Nancy œuvre cette année à sa façon pour que le traité de l'Élysée ne soit pas lettre morte reléguée au fond d'un placard poussiéreux : elle a fait de l'Allemagne le pays invité d'honneur du Livre sur la Place. Qu'elle en soit remerciée !

  • La rabouilleuse, de Balzac

    De temps en temps, j'aime bien me plonger dans un grand classique. Cela me remet le subjonctif imparfait en place ! Et pas seulement. Cela me rappelle les enchantements de l'adolescence, quand découvrir Balzac, Stendhal, Zola, Flaubert et tant d'autres avait une saveur si particulière. Je pouvais passer des journées entières scotchée à un livre. J'en aurais oublié les besoins élementaires de mon organisme, le boire, le manger, tout ça … si ma mère n'avait pas ponctué le défilé des pages de ses appels obstinés ! Je me souviens d'un jour où je me pointai à table un livre à la main, dans l'espoir de poursuivre ma lecture pendant le repas. L'idée ne fut pas saluée par mon père, pour qui on ne mélangeait pas les nourritures spirituelles et les autres !

    Bref... En ces vacances de Toussaint, j'ai eu envie de relire Balzac. Balzac et ses longues descriptions dont je me repaissais quand j'étais jeune. Loin de m'ennuyer, elles faisaient naître en mon esprit des lieux, des ambiances, des êtres. C'était magique.

    Cette fois, j'ai lu La rabouilleuse, œuvre qui traînait chez moi depuis de longs mois. Une vieille édition, récupérée dans je ne sais quelle cabane à livres. Ah, ces cabanes, quelle invention ! Elles font ma joie et le malheur, en tout cas l'encombrement, de ma maison ! Je ne peux m'empêcher d'y ramasser tout ce qui me semble digne d'intérêt, et l'éventail est large, croyez-moi !

    Donc, La rabouilleuse... C'est une histoire difficile à raconter. Une femme, Agathe, se voit déshéritée par son père. Suite à la mort de son mari, elle élève seule ses deux garçons et les ennuis commencent quand un des deux, Philippe, se met à dilapider le peu de biens dont dispose la famille. Il est le fils prodigue à qui sa mère pardonne tout, et même celui qu'elle préfère. Joseph, l'autre fils, est d'une bonté incommensurable, toujours là pour sa mère, tandis que Philippe la piétine.

    Les années passent et, encouragée par sa pauvreté grandissante et les conseils des uns et des autres, Agathe se met en route pour Issoudun, ville où vit son frère. Celui qui a récupéré tout l'héritage, donc. Et auquel elle pourrait peut-être, qui sait, demander ce qui lui est dû. Elle mesure d'autant plus l'urgence de cette action que son frère est sous la coupe d'une certaine Flore Brazier (la rabouilleuse, c'est elle) qui serait bien capable, le moment venu, de dérober toute la fortune qui ne lui est pas due ! Agathe se retrouve donc, avec Joseph, à Issoudun, ville provinciale bornée, dépeinte sans complaisance par la plume balzacienne.

    S'ensuivent des péripéties inénarrables. Chaque heure qui passe apporte son cortège de rebondissements. Il faut suivre !

    La fin serait impitoyable et de taille à désespérer son homme si ne surgissait pas, inattendue et bienvenue, une frêle lueur d'espoir et de justice. Mais tout de même, dans ce roman comme dans d'autres de Balzac, la conclusion est assez pessimiste et la vie met du temps à punir les gredins !