Coquelicot, Klatschmohn, papavero, poppy !
« Il y a autant de visions du monde, autant de mondes, que de langues », écrivait Hector Bianciotti, un écrivain que j'aime particulièrement et dont il faudra que je parle ici un jour ! Je viens de relire cette phrase, tirée de son livre Comme la trace de l'oiseau dans l'air, dans un des nombreux petits carnets où je note, au fil de mes lectures, les mots attrapés çà et là et dont j'ai envie de faire de durables compagnons. Coïncidence amusante : j'ai redécouvert la citation de Bianciotti ce matin, alors même que je me demandais pourquoi il me fallait toujours, ou presque, traduire ! Je m'explique : ce matin, je pensais au mot « coquelicot », que je trouve très beau. Immédiatement après, je me suis dit que son équivalent allemand était merveilleux, lui aussi : « Klatschmohn ». Soudain, je me suis rendu compte que j'avais oublié le mot italien. Vite, un dictionnaire, recherche compulsive parce que je m'aperçois, presque affolée, qu'il manque comme une mélodie à mon univers. « Papavero », mais oui, c'est vrai ! Mince, je ne sais pas dire « coquelicot » en anglais ! Même recherche fiévreuse ! « Poppy », deux syllabes qui semblent s'envoler joyeusement et évoquent la légèreté soyeuse de ladite fleur. Je reviens au terme allemand. J'ai lu quelque part que l'on pouvait également dire « Klatschrose » pour « Klatschmohn ». Quand on sait que « klatschen » signifie « fouetter », on voit très bien l'image. Une rose fouettée, battue par les vents ou toutes sortes d'intempéries, quelle puissance poétique ! L'allemand reste ma langue de prédilection. J'en ai fait ma terre d'élection, pour ainsi dire, une deuxième langue maternelle. On connaît les douceurs qu'évoque l'adjectif « maternel ». Une mère berce et console, emmitoufle de soleil. Voilà, à peu près, quelles vertus l'allemand a pour moi. C'est la langue nourricière. Qu'elle soit régulièrement maltraitée, fouettée, tel un fragile coquelicot, par des jugements à l'emporte-pièce qui ne prendront jamais le temps d'écouter ce qu'elle aurait à leur dire pour les tordre, la rend encore plus précieuse à mes yeux ! C'est mon petit coquelicot à moi, ma rose martyrisée...