Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Pourquoi tant de livres ?!

    En vue d'un déménagement imminent, j'ai entrepris de rassembler tous mes livres au même endroit, histoire d'y voir plus clair au moment de faire les cartons. Il faut dire que j'en avais éparpillé un peu partout dans la maison. Des livres dans toutes les pièces, du sol au plafond, toujours des livres, ça me tient chaud depuis l'enfance.

    Folle entreprise que celle dans laquelle je me suis lancée ! J'ai décidé de remettre l'église au milieu du village, en quelque sorte. Drôle d'idée puisque personnellement, peu me chaut que l'église soit ici ou ailleurs. Mais bon. Me voilà lancée dans ce grand tri. Comme ça, au moment de mettre les bouquins dans des cartons (combien en faudra-t-il, je me le demande !), chacun trouvera sa place à côté du voisin qui lui revient de plein droit. C'est ainsi que je viens de ranger des entretiens de Guillevic aux côtés des œuvres de Guilloux. Cela m'a fait sourire. Les deux Bretons ensemble. Pas loin de Gary, mon chouchou définitif, jusqu'à la fin des temps. Pas loin de Garcin non plus, mon tendre Jérôme, entre autres compagnon des deuils qu'il m'a aidée à traverser. Goffette est lui aussi dans les parages, Guy le bien-aimé dont je vénère le style.

    Bien sûr, il faudrait jeter quelques livres par-dessus bord. D'ailleurs, je le fais régulièrement, faut pas croire. Seulement, à chaque fois, une petite voix, au fond de moi, s'insurge. C'est que je ne me pardonne jamais tout à fait cet acte barbare : abandonner un livre... Même quand je n'en ai pas aimé le contenu, c'est un véritable crève-cœur. Et de tomber dans des considérations dont la mièvre sentimentalité m'exaspère : « Oh non, celui-là ne peut pas partir comme ça, il me rappelle un certain été caniculaire, dans mon appart à Nancy. Et celui-ci, il m'a accompagnée dans les Ardennes quand j'étais jeune prof (et nommée à Vouziers où je ne pouvais me procurer des livres qu'à la maison de la presse, ça vous donnera une idée de mon désarroi de l'époque), et il est revenu avec moi, je m'en souviens, il dépassait du carton sur le siège avant. Et lui, pas aimé du tout, stoppé net au bout de cinquante pages, mais, mais... Il me rappelle un certain amour (qui a tourné court, comme ma lecture, étrange mimétisme !) ».

    Et puis il y a celui-là que je ne peux regarder sans l'associer immédiatement à un souvenir ô combien catastrophique : Dessous, c'est l'enfer, de Claire Castillon. Commencé quelques jours avant la maladie de ma mère. Et jamais fini. Parce que pendant toute la durée de son hospitalisation, je ne pus lire une seule ligne. Je laissai le bouquin de Claire Castillon en plan sur ma table de nuit, j'oubliai très vite de quoi il parlait. Et puis ma mère mourut et je n'eus jamais le cœur de reprendre ma lecture... Oui, mais, mais, je ne peux pas éloigner de moi ces pages qui renferment un pan de mon histoire, même si ce pan-là est douloureux. Lecture inachevée, comme l'impression que me laissa la vie de ma mère, pliée si vite, si brutalement...

    Je serais animiste que ça ne m'étonnerait pas ! Un livre, ce n'est pas un bête objet que l'on prend, que l'on jette (« comme la mer rejette les goémons », aurait ajouté Gainsbourg). En tout cas pas pour moi. C'est un ami, c'est une musique. C'est trois fois rien, je sais, et pourtant c'est tellement. Un jour, il te happe dans une librairie. Tu lis quelques lignes ici ou là et tu sens qu'une histoire peut éclore entre lui et toi. Alors tu l'achètes. Peut-être qu'il ne tiendra pas les promesses qu'il t'a susurrées à l'oreille dans la librairie, c'est un risque à prendre. Peut-être qu'il sera pareil à la promesse de l'aube dont le mensonge a terni la vie entière de mon chouchou définitif (Romain Gary, si vous avez suivi). Mais tu ne peux lui en vouloir, et même tu lui pardonnes, tu t'attendris : peut-être qu'il ne t'a pas parlé lors de la première lecture, mais qu'au cours de la deuxième, qui sait... Alors tu lui laisses une seconde chance, comme on laisse une seconde chance à ces amours dont on sent que leur destin est de s'effilocher, mais, mais c'est tellement plus confortable de ne pas y croire !

    Et c'est ainsi que je dois avoir en ma possession un bon millier de livres, en français essentiellement, mais aussi en allemand (beaucoup, beaucoup), en italien et en anglais. Lors de mon dernier déménagement, j'en avais dénombré 800 en tout. Douze années se sont écoulées depuis, toutes jalonnées par de nombreux passages en librairies, où tant de livres m'ont fait la cour...

    Alors, ça vous dit de m'aider à déménager ?!

     

  • Tal der Herrlichkeiten ou Vallée des merveilles, un roman d'Anne Weber

    Anne Weber est une autrice allemande contemporaine. Elle vit à Paris et dans une double culture. Elle écrit toujours deux versions de ses livres, l'une en français et l'autre en allemand (mon rêve !). Elle sonde des thèmes aussi nombreux que variés : qu'est-ce qu'être allemand aujourd'hui (voir Ahnen et Vaterland) ? Comment s'articulent les rapports entre les hommes et les femmes ? Qu'est-ce que l'illusion amoureuse et comment disparaît-elle dans un sombre atterrissage forcé ? Et elle questionne bien d'autres sujets encore, mais je n'ai pas tout lu (ça va venir).

    À chaque fois que je lis Anne Weber, je suis désarçonnée. Souvent, en plein milieu de ma lecture, je me demande si j'aime ou pas le livre que je tiens entre les mains ! L'été dernier, en lisant Luft und Liebe, j'avais été totalement déconcertée par le procédé narratif. Racontant une histoire d'amour particulièrement glauque qu'elle avait vécue, Anne Weber se demandait, en préambule, s'il convenait de mettre cette histoire d'amour dans la peau d'une autre ou s'il fallait la raconter à la première personne. Les premières pages du livre sont une sorte de forage intérieur. Au terme de ses réflexions (dont le lecteur suit chaque étape), Anne Weber décide de faire de son histoire un conte, dans lequel elle sera la princesse et son amant le chevalier. La suite est à découvrir, pour ceux qui ne lisent pas en allemand, dans Air et liberté. Le titre français ne rend malheureusement pas le jeu de mots allemand : « von Luft und Liebe leben » signifie vivre d'amour et d'eau fraîche. Bref, à chaque langue son esprit, c'est la raison pour laquelle je voudrais les connaître toutes !

    Hier, j'ai terminé la lecture d'un autre roman d'Anne Weber : Tal der Herrlichkeiten (en français : Vallée des merveilles). Là encore, une histoire d'amour. Qui va mal finir, évidemment, ce ne serait pas drôle sinon (et surtout pas conforme à la réalité !). Le tout commence comme une jolie bluette : Luchs aime Sperber, qui pareillement aime Luchs. Oh, que c'est beau (mais louche) ! Leur amour débute en Bretagne (oh, que c'est beau aussi, et pas louche cette fois, la Bretagne est une splendeur, c'est un fait incontestable !), puis se poursuit à Paris. Où Luchs, la femme, meurt prématurément. Vraiment connement, comme dans la chanson de Thiéfaine. Pas la tête coincée dans un strapontin, mais enfin, pas mieux.

    À ce moment-là, Sperber a deux possibilités : croire ou ne pas croire à cette mort. Il opte pour la seconde. Le roman nous mène alors dans une contrée assez folle, la vallée des merveilles. Âmes insensibles s'abstenir ! Âmes cartésiennes (n'est-ce pas un oxymore ?!), faites de même. Car le voyage que nous propose Anne Weber est tissé de fantastique. Cela échappe totalement à la raison. On prend ou on laisse. Encore une fois, face à ces pages déroutantes, je me suis demandé « j'aime ou pas ? ». Aujourd'hui, après avoir laissé passer une douce nuit là-dessus, je dis « j'aime ». Comme sur Facebook, mais en développant un peu ! J'aime parce que c'est loufoque, décalé, inattendu. On a l'impression de lire une adaptation moderne du mythe d'Orphée et d'Eurydice. Et là, je n'ai pu m'empêcher de penser à Thiéfaine et à la manière dont il présentait sa chanson Eurydice nonante sept sur scène, il y a bien longtemps (combien de temps au juste, je ne saurais vous le dire, c'était à la fin des années 1990, je crois) : ce con d'Orphée s'est retourné, disait-il. Cela m'avait fait bien rire. D'ailleurs, il y aurait là matière à creuser : HFT et le regard en arrière, tout un programme de rejet ! Il n'aime pas se retourner sur le passé, a-t-il déjà dit X fois (et là, respect, monsieur, moi je n'y parviens pas), il trouve qu'Orphée est con de s'être retourné (et on ne peut que l'approuver quand on pense aux conséquences de ce geste malencontreux) et, dans Femme de Loth, il conseille : « Ne te retourne pas, la facture est salée ». Ce que cette phobie du « retournement » signifie, alors là, aucune idée ! Peut-être le désir d'aller systématiquement « encore plus loin, ailleurs » et devant, plutôt que de s'égarer dans des méandres sur lesquels on n'a plus aucune prise ?

    Bref, revenons-en à Anne Weber : j'aime ses livres parce que chacun est à nul autre pareil. Parce que tous ses romans dérangent, parce qu'ils bousculent, parce qu'ils explorent et parfois inventent de vastes territoires où l'on se perd un peu ! Et, ce qui est encore mieux, c'est que la boussole n'est pas livrée avec le bouquin. À chacun de se débrouiller avec les moyens dont il dispose !