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  • Bernhard Schlink était à la salle Poirel, à Nancy, hier soir

    En 1998, je lisais Der Vorleser (Le Liseur) pour la première fois. Je l'ai relu une fois depuis. Je me souviens encore très précisément de l'émotion qui fut la mienne à la découverte de ce roman hors du commun. Le narrateur, Michael Berg, raconte ici l'histoire d'amour qu'il a vécue, quand il était adolescent, avec Hanna Schmitz, de vingt-et-un ans son aînée. Je ne veux pas tout dévoiler de l'intrigue, au cas où vous n'auriez pas lu ce livre. En tout cas, je peux dire qu'on trouvera là les plus belles pages qui aient jamais été écrites sur la culpabilité. De lancinantes questions taraudent Michael lorsqu'il apprend quel rôle a joué, durant la Seconde Guerre mondiale, la femme qu'il a aimée. Une question, en particulier, le hante : avoir frayé avec une coupable fait-il de lui un autre coupable ? En filigrane, c'est toute l'histoire de l'Allemagne qui s'inscrit dans ce questionnement qui ne trouvera jamais de réponse.

    Et voilà qu'hier soir, grâce aux rencontres du Livre sur la Place, Bernhard Schlink se tenait face à un public fourni, salle Poirel, à Nancy. Oui, à Nancy ! L'auteur était interviewé par Sarah Polacci et traduit, avec brio, par Bertrand Brouder. Il fut principalement question du dernier roman de Schlink, La petite-fille (Die Enkelin en allemand). Je n'ai pas encore lu ce livre, mais ça ne saurait tarder. Les thèmes qui s'y déploient font partie de mes « dadas » : le roman raconte la vie d'une femme, Birgit, qui, aidée par Kaspar (qui deviendra son mari), a fui la RDA pour s'installer en Allemagne de l'Ouest. Avec tous les sacrifices que cela implique. Notamment un, et pas des moindres : en quittant son pays, Birgit a également laissé derrière elle une fille qu'elle a eue avec un Allemand de l'Est. À la mort de Birgit, Kaspar découvre l'existence de cette fille et part à sa recherche.

    Tout au long de l'entretien, Sarah Polacci évoque les sujets qui traversent le roman : la difficulté à habiter le monde, à y trouver un chez-soi (et Bernhard Schlink de répondre que l'homme ne trouve jamais de véritable lieu à soi en ce monde), les incompréhensions persistantes entre les Allemands de l'Est et ceux de l'Ouest (l'auteur se dit pourtant optimiste : il pense que le temps finira par gommer ces incompréhensions), l'importance de l'art. À la fin, Sarah Polacci parle du retentissement qu'a eu La petite-fille en France : 60 000 exemplaires vendus. Bernhard Schlink s'en réjouit et souligne un fait qui m'a souvent frappée moi aussi : si les politiciens français et allemands ne font plus grand-chose pour le rapprochement de nos deux pays, la littérature a encore ce pouvoir. Je déplore souvent le manque d'implication des politiques, encore plus en cette année 2023 qui est celle des soixante ans du traité de l'Élysée. De part et d'autre de la frontière, des discours creux. Des promesses que la réalité ne permettra pas de tenir. Moi qui enseigne l'allemand et assiste à la progressive disparition de cette langue dans un grand nombre d'établissements scolaires, je ne peux que me désoler. Heureusement, la ville de Nancy œuvre cette année à sa façon pour que le traité de l'Élysée ne soit pas lettre morte reléguée au fond d'un placard poussiéreux : elle a fait de l'Allemagne le pays invité d'honneur du Livre sur la Place. Qu'elle en soit remerciée !