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Le serre-livres - Page 10

  • Aimez-vous Sagan...

    Il arrive que le mythe qui colle à la peau de certains artistes desserve totalement leur œuvre. Prenez Sagan, par exemple. Interrogés à son sujet, beaucoup vous parleront de bolides flamboyants, d'alcool, de drogue, de nuits sauvages. Et omettront d'évoquer l'essentiel : ses romans ! Le hasard (ou était-ce autre chose ?) a voulu qu'en juin, dans une cabane à livres, je tombe sur Un profil perdu. « Tiens, me suis-je dit, Sagan ! Je ne l'ai pas lue depuis mes quinze ans, cela peut être une lecture d'été sympa ».

    J'ai mis le livre dans mes bagages avant de partir pour la Bretagne. Là-bas, un matin, j'ouvre Un profil perdu. Et je redécouvre, tout d'abord, un style. Cette fameuse voix dont on a tant parlé. Tellement présente qu'on dirait que c'est elle qui vous murmure les pages à l'oreille. Sagan en avait parfois marre qu'on lui parle de cette voix. N'empêche qu'elle est là, palpitante sous la plume, et que c'est une grâce. L'écriture est énergique, les mots courent vite, les décors se succèdent, les humeurs et les ambiances aussi. Un profil perdu, c'est l'histoire d'une femme pour qui toute relation devient enfermement et soumission. L'homme avec qui on la trouve au début du roman lui mène une vie infernale et la violente. Celui qui se croit obligé de la sauver de cet enfer la soumet d'une autre façon : grâce à son argent. À la fin, un troisième homme débarque dans ce triste bordel. N'en disons pas plus...

    En lisant ce petit bouquin, je me suis souvenue de l'émerveillement que fut, pour l'adolescente que j'étais, la découverte de Sagan. Dans ses livres, je trouvais souvent des réponses aux questions que je me posais sur l'amour et la bizarrerie des rapports humains. Je goûtais avec joie les portraits psychologiques, je croyais y reconnaître un tel ou une telle de mon entourage, et je m'en amusais.

    Revenons à cet été : de retour de Bretagne, j'ai eu envie de me documenter sur Françoise Sagan. Avant-hier, j'ai regardé le film de Diane Kurys, avec l'excellente Sylvie Testud. Il m'a bouleversée. En le regardant, je pensais aux mots terribles (et si vrais) de Fitzgerald : « Toute vie est bien entendu un processus de démolition ». Hier, sur Internet, j'ai cherché des interviews de Sagan. Je suis évidemment tombée sur celle réalisée par Pierre Desproges. J'ai trouvé la dame très classe face à ce type loufoque qui lui parlait de ses vacances et de son beau-frère ! Plus tard, chez Pivot, elle rira de bon cœur de cette drôle d'aventure. Bref, je la trouve d'une grande élégance. Et pas dépourvue d'humour !

    Donc, hier, dans la foulée, je suis allée à Metz dans l'espoir d'y trouver Je ne renie rien, un recueil des entretiens de Sagan. C'est vraiment cet ouvrage que j'avais en tête en partant. Coup de bol incroyable : je l'ai trouvé dans la première bouquinerie où j'ai mis les pieds ! Ça y est, j'étais riche et je pouvais rentrer. Depuis, je me délecte des propos de Sagan. Je sens qu'ils seront un certain nombre à finir dans un de ces petits carnets qui m'accompagnent un peu partout. En voici quelques-uns :

    « Il m'arrive de trouver que la vie est une horrible plaisanterie. Si l'on est tant soit peu sensible, on est écorché partout et tout le temps ».

    « Il y a peu de drames dans mes livres, car quand on réfléchit, tout est dramatique : il est dramatique de rencontrer quelqu'un, de l'aimer, de vivre avec lui, qu'il soit tout pour vous et qu'au bout de trois ans, on se quitte avec des déchirures intérieures ».

    « Il y a tout l'être humain à fouiller. C'est une histoire de bûcheron. L'arbre est assez énorme pour qu'on ne passe pas son temps à vérifier la hache ».

    « L'idéal, c'est de préférer tous les matins et tous les soirs l'homme avec qui l'on vit. Il faut avoir un goût assez vif l'un de l'autre pour y parvenir. Il y a des soirs où on a sommeil, où on n'aime que soi et soi endormi. La force de l'habitude fait que l'on sait qu'on va dormir avec quelqu'un qui bouge ou non, qui rêve à haute voix ou qui a un sommeil de plomb. Cette espèce de connaissance l'un de l'autre, cette affection du corps si vous voulez, vous amène à dormir avec votre mari, même si vous le connaissez depuis cinq ans, plutôt qu'avec Gary Cooper. Mon Dieu ! Le pauvre … il est mort … avec, je ne sais pas, Kirk Douglas ».

    Et vous, aimez-vous Sagan ?

  • Encore un week-end passé à lire Modiano !

    Les romans de Modiano nous entraînent souvent dans des quêtes labyrinthiques. Quête d'un passé qui n'est plus tout en ne s'étant pas complètement évaporé, quête de sens et/ou d'identité. Parfois, dès les premières pages, on sent que la recherche n'aboutira à rien. Elle est pourtant nécessaire, voire vitale, pour le personnage qui l'entreprend. Et le lecteur dans tout cela ? Il n'a qu'à bien se tenir et suivre ! Quelqu'un l'a pris par la manche et lui a enjoint de l'accompagner dans ses pérégrinations. Et le voilà qui erre dans les rues de Paris, atterrissant régulièrement dans des lieux interlopes où s'échouent des existences pour la plupart privées d'horizon. On n'est pas très loin de l'univers de Thiéfaine et de ses dingues, de ses paumés, de sa rue barrée à Hambourg et des chambres « où les nuits ne durent pas plus d'un quart d'heure » !

    Comme Thiéfaine, Modiano a le don de faire naître des ambiances, de susciter des atmosphères. Je ne saurais dire pourquoi j'adore me retrouver immergée là-dedans jusqu'au cou ! Ces romans qui regorgent d'énigmes irrésolues et de quêtes désespérées présentent de subtiles accointances avec la vie. Elle aussi soulève plus de questions qu'elle n'indique de réponses !

    Avec La Petite Bijou, on est de nouveau dans ce schéma. La narratrice, Thérèse, croise un jour, à la sortie du métro, une femme en qui elle croit reconnaître sa mère, pourtant censée avoir perdu la vie quelques années plus tôt au Maroc, où elle avait disparu sans laisser d'adresse. Nous voilà embarqués dans une histoire mystérieuse et toutes sortes d'interrogations : cette femme est-elle réellement la mère de Thérèse ? Pourquoi a-t-il été dit qu'elle était morte ? Est-elle encore de ce monde ? Quel est donc ce fantôme qui surgit brusquement de nulle part ?

    Que le roman finisse ou non par apporter des réponses à ces questions importe peu, en définitive. Ce qui compte, c'est la mise en route, le déclic qui met le pied à l'étrier, et le long chemin qui s'ensuivra. Finalement, la destination peut bien demeurer « le pays où l'on n'arrive jamais »...

  • Paul Valet : une rencontre. Que dis-je ? Un choc !

    Découvrir un poète et s'enivrer de la parole qui le porte. Tomber en extase devant ses cris et ses silences. Avoir l'impression qu'on ne loge pas très loin de son pays. Ne plus se sentir seul.

    Chaque rencontre poétique se doit d'être un choc frontal. Si l'on ressort intact d'un chant, c'est que ses accents n'étaient pas faits pour nous. Mais s'ils nous percutent, c'est autre chose. C'est qu'il y a évidence. De la première ligne à la dernière.

    Ce matin, Paul Valet est venu à moi d'une bien belle façon. J'ouvre son livre, La parole qui me porte. Et j'ai envie de le recopier intégralement dans l'un de ces petits carnets qui m'accompagnent depuis presque toujours et dans lesquels je consigne, telle une écolière appliquée, les mots que je ne veux pas oublier. J'en ai environ une dizaine. Leurs pages sont un peu meurtries : œuvre du temps, parfois de mes filles qui ont cru bon d'y ajouter leur griffe. Après tout, pourquoi pas ? Ce qui, sur le moment, me fit enrager, est devenu un doux souvenir, celui de deux enfances envolées (envolées, comme le beau château à Clara, disons-nous presque systématiquement, mes filles et moi, dès que nous employons ce mot, « envolé », faisant ainsi référence à un superbe château gonflable que j'avais acheté un jour à ma fille aînée - c'était à Trèves – et qui, à peine arrivé à Nancy, s'était élevé dans les airs, et adieu le beau château à Clara, comme disait Louise. Nous l'avions longuement regardé nous narguer de sa liberté retrouvée).

    Bref, je m'égare. Paul Valet, de son vrai nom Grzegorz Szwarc, naît en Pologne (on s'en serait douté) en 1905. Il est doué pour la musique et parle plusieurs langues (le russe, le polonais, le français et l'allemand). Il s'installe en France en 1924. Le français devient sa langue. J'ai déjà remarqué que les écrivains qui étaient passés par d'autres idiomes avant d'atterrir dans le nôtre l'enrichissaient d'une manière toute particulière. Je pense à Romain Gary, je pense à Hector Bianciotti, ou encore à Cioran.

    La langue de Paul Valet est faite de virages inattendus et d'assemblages surprenants. Elle dit nos impasses et nos manques (« chaque homme est traversé par des voies sans issue »), elle dit aussi combien la vie est vaste et combien cette vastitude nous laisse sur notre faim, nous dont le temps est compté :

    « Nous n'avons pas le temps de creuser nos pensées

    Nous n'avons pas le temps de peser nos paroles

    Qui trahissent notre destin tortueux

     

    Trop de fruits sont tombés sur notre champ caillouteux

     

    On y glisse

    On y tombe

     

    Le surplus nous dévore ».

     

    Ou encore : « J'ai le souffle trop court

    Pour escalader les nuages ».

     

    C'est une poésie qui donne envie de chausser des semelles de vent et d'aller vagabonder dans de grands espaces, des « horizons affamés », comme écrit Paul Valet. C'est une poésie qui met en route. Vers le silence et vers soi-même.

     

    En voici quelques bribes (qui figurent déjà dans un de mes carnets tant aimés !) :

    « La vie du poète

    Doublure déchirée de son œuvre ».

     

    « Prenez soin

    De vos vieux oublis ».

     

    « Le fond de mes yeux

    Est toujours en vacances ».

     

    « Ouvrir un compte courant

    À la banque du vent ».

     

    « Je suis à peine ébauché

    Et déjà ma glaise craque ».

     

    « Sur mes ruines d'homme

    Construire un poème ».