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Le serre-livres - Page 14

  • Avec toutes mes sympathies, un livre d'Olivia de Lamberterie

    Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé les livres. À huit ans, après avoir lu les Contes bleus du chat perché de Marcel Aymé, j'avais orné le livre, sacré à mes yeux, de commentaires de gratitude. « Je remercie Marcel Aymé pour ses contes ». « Ce livre était très beau, merci maman, merci Marcel Aymé ». C'est marrant, d'ailleurs, cette idée que j'avais eue de remercier ma mère. Non pas qu'elle eût coécrit le bouquin (encore que, sait-on jamais à quoi nos proches occupent leurs heures perdues ?!), mais simplement parce qu'elle me l'avait offert ! Je me souviens des moments magiques passés en compagnie des Contes bleus, je me souviens même de la tristesse qui m'avait traversé le cœur au moment où j'avais lu la dernière phrase du livre.

    Il me semble que mon rapport à la littérature n'a jamais changé. Après chaque lecture qui me fiche à terre, je voudrais remercier l'écrivain qui a provoqué ce bouleversement ou déclenché une révélation. Quand un livre me happe littéralement, je rechigne à le quitter. Je voudrais prolonger le tête-à-tête, maintenir l'enchantement à son plus haut degré.

    Dernièrement, c'est Olivia de Lamberterie que j'aurais aimé pouvoir remercier. Son livre, Avec toutes mes sympathies, traite d'un sujet grave : le suicide de son frère, Alexandre. Cet homme avait, semble-t-il, tout pour être heureux. La « façade », en tout cas, était clean : une femme et des enfants aimants, une situation plutôt confortable. Mais Alexandre était dépressif, il ne pouvait s'entendre avec la vie, avec les crasses dont elle est capable. Son mal était profond, sans appel et sans espoir. Plusieurs tentatives de suicide avaient inquiété son entourage. Et puis, un jour, un saut fatal dans le vide...

    Pour les proches, vivre une telle perte, c'est se demander soudain comment, jour après jour, mettre un pied devant l'autre. Se prendre en pleine face toute la vacuité du monde. Olivia de Lamberterie pose des mots simples sur des douleurs complexes. Elle n'émet jamais de jugement, elle recolle les morceaux d'une existence fracassée. En la lisant, j'ai compris bien des choses, et notamment pourquoi l'on peut (comme moi avec ma mère) refuser de faire le deuil de quelqu'un. D'abord, et là c'est mon petit commentaire personnel, cette expression est horrible, elle suscite en moi des images de chasse d'eau. Ensuite, ras-le-bol de cette société qui nous dicte comment on devrait boire, manger, penser, baiser et enterrer nos morts sous une dalle en béton au fond du jardin, et ciao, n'en parlons plus. « Comment ? Cela fait dix ans que ta mère n'est plus de ce monde et tu n'as pas fait ton deuil ? ». Mais je t'emmerde, si tu savais ! Je n'ai pas fait mon deuil parce que, comme Olivia de Lamberterie l'écrit si bien, cela équivaudrait à faire le deuil de moi-même. Alors pas encore, laissez-moi du temps. Je crois que je n'en aurai de toute façon jamais fini avec ce deuil impossible et jamais fini non plus avec cette société qui voudrait nous empêcher de chialer en rond. Des guides de mieux-vivre, je t'en foutrais, moi ! On a le droit aussi de voir, à l'instar d'un certain HFT, que la vie c'est pas du bubble-gum...

    En tout cas, avec toute ma sympathie, je voudrais, comme la petite fille d'autrefois, écrire très simplement : merci Olivia de Lamberterie !

  • Fugitive parce que reine, de Violaine Huisman

    "Il faut pardonner à ses parents si l'on veut pouvoir porter sur eux un regard plus précis". Violaine HUISMAN

     

    Voilà le portrait d'une femme tour à tour solaire et enténébrée ou étant parfois les deux à la fois, dans un grand foutoir généralisé. Sa vie démarre, comme l'écrit sa fille, Violaine Huisman, sous le signe de la déchirure. À croire qu'elle est de ceux que l'on pourrait ranger du côté de Verlaine, c'est-à-dire de ceux qui reçurent « bonne part de malheur et bonne part de bile ». Comment se répare-t-on d'une blessure originelle qui ne cesse de nous matraquer ? Peut-on s'en délivrer totalement, notamment quand d'autres viennent, par la suite, l'alourdir ? Née d'un viol, Catherine Cremnitz se construira comme elle pourra sur le gril d'un destin chahuté. Elle cherchera son identité et sa raison d'être dans toutes sortes de vertiges : l'alcool, les médicaments, les projets dont la loufoquerie extrême ne les empêchera pourtant pas d'aboutir (un réel tour de force), l'amour aussi. L'amour qui la fracassera bien souvent. Mais il en est un qui lui deviendra planche de salut et raison de vivre : l'amour maternel. C'est comme un grand souffle qui viendrait faire une trouée d'espoir sur une vitre embuée et dévoilerait un horizon par-delà le brouillard. Les deux filles de Catherine, Elsa et Violaine, naissent à deux ans d'intervalle. Elles grandissent dans le chaos et semblent l'accepter. Jamais elles ne jugent leur mère qui déraille un peu, beaucoup, à la folie. Elles s'habituent aux montagnes russes qui font le tissu de leur enfance. Tantôt leur mère leur fait des déclarations d'amour tonitruantes, tantôt elle les traite de connasses ou de salopes, et pourtant aucun nom d'oiseau ne vient entamer la certitude qu'ont les deux filles d'être aimées. Et puis c'est comme si un accord tacite s'était installé dans les relations de ce petit monde : les filles aident leur mère à rester en vie, tout simplement. Cela leur confère une autre certitude : celle de détenir un « pouvoir fantastique ». Jusqu'au jour où tout s'effondre, où Catherine se retire sur la pointe des pieds, ses beaux pieds de ballerine qui auront finalement si peu servi à la faire danser (une vocation fauchée en plein vol), jusqu'au jour où elle décide qu'elle en a assez, qu'elle a « assez donné ». Assez donné à tant d'autres qui n'ont fait que prendre et meurtrir, assez donné à une vie jamais à la hauteur des rêves qu'elle a suscités.

     

    Fugitive parce que reine, c'est un livre qui ressemble à la femme qu'il célèbre : il est tour à tour solaire et enténébré, parfois les deux à la fois, et toujours porté par un style flamboyant. Un grand moment de lecture. Bien sûr, en tant que lecteur, on retiendra le côté tragique de cette existence jetée à toute allure sur des flots agités, mais on pourra également admirer l'audace et la vivacité d'une femme ayant explosé tous les cadres, toutes les normes, et ayant ainsi donné à ses filles le courage de ne jamais se ramollir dans la banalité !

  • Je me promets d'éclatantes revanches, un livre de Valentine GOBY

    Le soleil est facétieux aujourd'hui : tantôt il nous réchauffe lourdement, tantôt il disparaît derrière une épaisse masse de nuages. Cette alternance d'ombre et de lumière, de fraîcheur et de douceur, me fait penser à la vie en général, et à celle de Charlotte Delbo en particulier. Je viens de refermer le livre que Valentine Goby a consacré à cette femme, et je reste éblouie par tant de grâce : celle qu'engendrèrent les plumes de l'une et de l'autre. Tout au long du livre, les mots de Valentine Goby et ceux de Charlotte Delbo s'entremêlent et se répondent comme en écho.

    Je me promets d'éclatantes revanches est ce que Valentine Goby appelle une lecture intime de Charlotte Delbo. Le titre est issu d'une lettre que Charlotte Delbo écrivit à Louis Jouvet peu après la Seconde Guerre mondiale. Sûr que l'on se souhaite d'éclatantes revanches lorsque l'on a connu la déportation et la perte de l'être aimé (en l'occurrence Georges Dudach, qui sera fusillé en 1942, à l'âge de vingt-huit ans).

    Ces éclatantes revanches, Charlotte Delbo les connut-elle vraiment ? Sans doute, si l'on en croit la substance même de ses écrits, où s'affirme de page en page une préférence pour la vie. Si l'écriture fut pour elle une manière de sauver des voix de camarades entendues à Auschwitz et à Ravensbrück, elle fut aussi ce qui lui permit d'intégrer l'horreur, puis de la dépasser. À Jacques Chancel qui lui disait qu'en écrivant sur ce sujet, Charlotte Delbo s'emprisonnait, celle-ci répondit fermement : « Non ! Non, non, non ! ». L'écriture eut le pouvoir de la placer définitivement du côté de la vie et de l'action.

    Une fois achevée cette lecture, on n'a qu'une envie : se plonger dans l'œuvre de Charlotte Delbo. Pas de doute : Valentine Goby a réussi son pari...