Aimez-vous Sagan...
Il arrive que le mythe qui colle à la peau de certains artistes desserve totalement leur œuvre. Prenez Sagan, par exemple. Interrogés à son sujet, beaucoup vous parleront de bolides flamboyants, d'alcool, de drogue, de nuits sauvages. Et omettront d'évoquer l'essentiel : ses romans ! Le hasard (ou était-ce autre chose ?) a voulu qu'en juin, dans une cabane à livres, je tombe sur Un profil perdu. « Tiens, me suis-je dit, Sagan ! Je ne l'ai pas lue depuis mes quinze ans, cela peut être une lecture d'été sympa ».
J'ai mis le livre dans mes bagages avant de partir pour la Bretagne. Là-bas, un matin, j'ouvre Un profil perdu. Et je redécouvre, tout d'abord, un style. Cette fameuse voix dont on a tant parlé. Tellement présente qu'on dirait que c'est elle qui vous murmure les pages à l'oreille. Sagan en avait parfois marre qu'on lui parle de cette voix. N'empêche qu'elle est là, palpitante sous la plume, et que c'est une grâce. L'écriture est énergique, les mots courent vite, les décors se succèdent, les humeurs et les ambiances aussi. Un profil perdu, c'est l'histoire d'une femme pour qui toute relation devient enfermement et soumission. L'homme avec qui on la trouve au début du roman lui mène une vie infernale et la violente. Celui qui se croit obligé de la sauver de cet enfer la soumet d'une autre façon : grâce à son argent. À la fin, un troisième homme débarque dans ce triste bordel. N'en disons pas plus...
En lisant ce petit bouquin, je me suis souvenue de l'émerveillement que fut, pour l'adolescente que j'étais, la découverte de Sagan. Dans ses livres, je trouvais souvent des réponses aux questions que je me posais sur l'amour et la bizarrerie des rapports humains. Je goûtais avec joie les portraits psychologiques, je croyais y reconnaître un tel ou une telle de mon entourage, et je m'en amusais.
Revenons à cet été : de retour de Bretagne, j'ai eu envie de me documenter sur Françoise Sagan. Avant-hier, j'ai regardé le film de Diane Kurys, avec l'excellente Sylvie Testud. Il m'a bouleversée. En le regardant, je pensais aux mots terribles (et si vrais) de Fitzgerald : « Toute vie est bien entendu un processus de démolition ». Hier, sur Internet, j'ai cherché des interviews de Sagan. Je suis évidemment tombée sur celle réalisée par Pierre Desproges. J'ai trouvé la dame très classe face à ce type loufoque qui lui parlait de ses vacances et de son beau-frère ! Plus tard, chez Pivot, elle rira de bon cœur de cette drôle d'aventure. Bref, je la trouve d'une grande élégance. Et pas dépourvue d'humour !
Donc, hier, dans la foulée, je suis allée à Metz dans l'espoir d'y trouver Je ne renie rien, un recueil des entretiens de Sagan. C'est vraiment cet ouvrage que j'avais en tête en partant. Coup de bol incroyable : je l'ai trouvé dans la première bouquinerie où j'ai mis les pieds ! Ça y est, j'étais riche et je pouvais rentrer. Depuis, je me délecte des propos de Sagan. Je sens qu'ils seront un certain nombre à finir dans un de ces petits carnets qui m'accompagnent un peu partout. En voici quelques-uns :
« Il m'arrive de trouver que la vie est une horrible plaisanterie. Si l'on est tant soit peu sensible, on est écorché partout et tout le temps ».
« Il y a peu de drames dans mes livres, car quand on réfléchit, tout est dramatique : il est dramatique de rencontrer quelqu'un, de l'aimer, de vivre avec lui, qu'il soit tout pour vous et qu'au bout de trois ans, on se quitte avec des déchirures intérieures ».
« Il y a tout l'être humain à fouiller. C'est une histoire de bûcheron. L'arbre est assez énorme pour qu'on ne passe pas son temps à vérifier la hache ».
« L'idéal, c'est de préférer tous les matins et tous les soirs l'homme avec qui l'on vit. Il faut avoir un goût assez vif l'un de l'autre pour y parvenir. Il y a des soirs où on a sommeil, où on n'aime que soi et soi endormi. La force de l'habitude fait que l'on sait qu'on va dormir avec quelqu'un qui bouge ou non, qui rêve à haute voix ou qui a un sommeil de plomb. Cette espèce de connaissance l'un de l'autre, cette affection du corps si vous voulez, vous amène à dormir avec votre mari, même si vous le connaissez depuis cinq ans, plutôt qu'avec Gary Cooper. Mon Dieu ! Le pauvre … il est mort … avec, je ne sais pas, Kirk Douglas ».
Et vous, aimez-vous Sagan ?