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Le serre-livres - Page 32

  • Cet instant-là, Douglas Kennedy

    Berlin, 1984. Une balafre immonde cisaille la ville. On ne sait pas encore que le mur de la honte tombera bientôt. Pour le moment, il semble indestructible. Il est là, gigantesque, monstrueux, comme une plaie béante. Thomas Nesbitt, écrivain américain, est envoyé à Berlin pour y travailler à Radio Liberty. Là, parmi ses collègues, il rencontre Petra Dussmann, une réfugiée est-allemande. Ils tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Dès les premiers instants, leur histoire paraît limpide, de nature à faire dire à tous ceux qui sont revenus des grands sentiments qu’il est possible d’être un jour submergé par une évidence faite pour durer. Mais ce serait oublier un peu vite les origines de Petra (qui dit RDA dit Stasi, paranoïa, surveillance), oublier un peu vite que sous la plume de Douglas Kennedy comme dans la vie, les histoires d’amour finissent mal en général…

    Cet instant-là, c’est celui qui ne reviendra pas. Celui qui nous présente une cruciale alternative (entweder … oder, comme on dit en allemand) et nous enjoint de choisir dans l’urgence. On peut alors prendre une décision que l’on regrettera amèrement toute sa vie. Malheureusement, de deux maux, l’homme choisit souvent le pire.

    Avec la petite musiquette qui lui est propre et que j’ai découverte récemment dans Toutes ces grandes questions sans réponse, Douglas Kennedy nous rappelle que même si nous sommes hantés par la poursuite du bonheur, nous bâtissons parfois habilement le malheur qui nous fracassera, la prison qui nous encagera. Un certain Hubert-Félix Thiéfaine appelle cela « broyer son propre horizon ». « C’est peut-être ça qu’on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir », écrivait Céline. Cette supposition a de quoi rendre bien mélancolique. Tout comme le roman de Douglas Kennedy. Mais il nous dit aussi que c’est à nous d’aller vers le beau plutôt que vers le casse-gueule et que cet instant qui ne reviendra pas nous offre avant tout la possibilité d’opter pour le bonheur.

    Un sacré choc pour moi que la découverte de cet écrivain, dont je croyais encore, il y a quelques mois, qu’il n’avait rien à voir avec ceux que j’affectionne habituellement. Toutes ces grandes questions sans réponse, feuilleté d’abord avec délices dans un supermarché, puis acheté et dévoré frénétiquement en deux jours, est venu saper mes idées préconçues, et je trouve qu’il n’y a rien de plus rafraîchissant que ces instants-là, qui viennent démonter une certitude qui n’avait finalement pas lieu d’être !

  • Journal d'un miraculé en skateboard !

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    Parmi mes récents chocs de lecture, il y a Journal d'un vampire en pyjama, de Mathias Malzieu. Le chanteur de Dionysos raconte ici par le menu la terrible maladie qui a bien failli le mettre K.O. : une aplasie médullaire. Quand on n'a pas étudié la médecine ou que l'on n'a tout simplement pas été confronté de près à cette pathologie, on peut encore associer de bien belles images à l'expression qui la désigne. Pourtant, dans le genre "tout ce qui est dégueulasse porte un joli nom", comme disait Allain Leprest, ça se pose là ! L'aplasie médullaire est une maladie du sang qui se caractérise par une raréfaction de la moelle osseuse. Au moment où ce truc s'abat sur Mathias Malzieu comme un manteau de ténèbres, ce dernier a de nombreux projets en tête et/ou en chantier. Le voilà soudain contraint de ralentir la cadence. Et même de mettre en veille certaines activités qui jusque là faisaient sa vie. Une descente aux enfers commence. Bientôt, à l'expression "aplasie médullaire", les médecins accolent l'inquiétante épithète "réfractaire". C'est que le truc infâme s'accroche ! De mauvaises nouvelles en catastrophes assommantes, Mathias Malzieu tente de rester debout, la tête hors de l'eau. Rosie, sa compagne, l'entoure de tous les petits soins possibles. Le personnel hospitalier fait tout ce qu'il peut pour adoucir le quotidien du patient.

    Ce livre est une formidable leçon de vie et de courage, tout en ne prétendant pas l'être. Il se veut juste témoignage. Et bouée de sauvetage au cœur du tsunami. C'est le journal de bord d'un homme que la mort a frôlé de son aile terrifiante. Peu à peu, s'installe entre lui et celle qu'il appelle Dame Oclès un commerce des plus épuisants. Dame Oclès vient régulièrement rôder dans les parages, laissant traîner derrière elle un goût de suie. Mais notre vampire ne s'en laisse pas conter par la maîtresse de l'horreur. Il s'accroche à ceux qui l'aiment / qu'il aime, à la musique et à l'écriture. Le journal lui permet de claudiquer tant bien que mal d'un jour à l'autre. La moindre embellie, le moindre regain d'énergie sont pain bénit. Dès qu'il en a la force, Mathias Malzieu fend les trottoirs de Paris avec son skateboard. Ce journal d'un vampire en pyjama finit par devenir le journal d'un miraculé en skateboard !

    A de multiples reprises, du fond de sa chambre stérile, Mathias Malzieu rêve de ce qu'il appelle le "normal extraordinaire", celui qu'en temps de santé éclatante, on a peut-être trop tendance à regarder de haut. Tout à coup, ce qui, avant la maladie, allait de soi (entrer dans une librairie et y rester des heures à la recherche du livre qui deviendra un flamboyant compagnon de route, partager un repas avec la famille ou les amis, etc.) revêt des allures de merveilleux. La lecture de ce journal invite à mieux cueillir les pépites du réel et à voir la somptueuse robe de l'extraordinaire sous les frusques délavées de ce normal qui, à y regarder de plus près, n'a rien de banal.

    En trois mots comme en cent : une lecture enchanteresse !

    Comme j'aimerais que ce blog soit un minimum interactif, je me permets de vous poser deux questions :

    1) Quel est votre dernier grand choc de lecture ?

    2) Si vous connaissez bien l'univers de Dionysos, avez-vous un album en particulier à me recommander ?

  • Les gens dans l'enveloppe, Isabelle Monnin avec Alex Beaupain

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    A l'origine du projet d'Isabelle Monnin, une liasse de 250 photos mises en vente sur Internet par un brocanteur. Ces clichés sont ceux d'une famille lambda et déroulent, dans leur émouvante maladresse (ils sont banals, souvent mal cadrés, parfois à contre-jour), un quotidien d'une non moins émouvante simplicité. Isabelle Monnin éprouve une vive émotion lorsqu'elle reçoit ces photos en juin 2012. D'emblée, elle sait qu'elle va en faire quelque chose. Car, très vite, les gens dans l'enveloppe sortent de leur mutisme, se mettent à lui inspirer des histoires.

    C'est ainsi que naît une fiction. Quelques visages se détachent de l'ensemble et prennent vie : Laurence, la gamine au pull rayé, Michelle, sa mère, qui s'ennuie dans son existence terne, rêve de couper les virages et de franchir les lignes blanches, Simone et Serge.

    Très vite, l'envie de rencontrer tous ces gens titille Isabelle Monnin. Elle ne dispose que de peu d'indices pour pouvoir ancrer l'existence de ces individus dans un contexte géographique précis. Ici un clocher, là une plaque d'immatriculation. Elle pense que le clocher pourrait être celui d'une église franc-comtoise. Elle connaît bien la Franche-Comté puisqu'elle en est elle-même originaire. Sur Internet, elle trouve l'improbable : un doux farfelu a recensé tous les clochers de la région. Isabelle Monnin peut situer celui qui apparaît sur de nombreux clichés : il s'agit de celui de Clerval.

    Et la voilà qui part à la rencontre de cette famille dont elle ne sait rien et dont elle connaît pourtant des fragments d'intimité. Je ne saurais dire quelle partie du livre est la plus captivante, le roman ou l'enquête. Le tout est accompagné de chansons. Et c'est là qu'intervient Alex Beaupain, ce chanteur que j'aime tant. Il dépeint mieux que personne la fragilité de nos vies, et cette lancinante mélancolie qui nous empoigne devant le si peu que nous sommes. L'univers d'Alex Beaupain et celui d'Isabelle Monnin se marient merveilleusement, ils ricochent l'un dans l'autre, dessinant de jolies ridules sur la surface des eaux du Doubs...

    L'ensemble m'a bouleversée et, plus d'une fois, j'ai versé ma petite larme à la lecture de ces pages que j'ai dévorées, ou en écoutant les douze chansons qui accompagnent le tout. Très subtilement, Isabelle Monnin pose plusieurs questions essentielles : que reste-t-il d'une vie ? Qu'est-ce qui en fait le suc, l'universel et le singulier ? Surtout, elle affirme que toute existence, puisqu'elle vaut d'être vécue, vaut également d'être racontée. Voilà une œuvre qui vous prend par la main et vous emmène très loin, sur des chemins de campagne où il fait bon gambader à toute allure. Et au milieu coule une rivière, comme disait Busnel en présentant ce livre à La Grande Librairie. Oui, au milieu coule une rivière, et ses clapotis murmurent à nos oreilles la mélancolique ritournelle des choses qui s'effacent, à peine vécues...