La mort d'Ivan Ilitch
Ivan Ilitch est un homme comme tant d'autres : de vaines ambitions l'ont aveuglé tout au long de sa vie, le menant par le bout du nez, et se révélant, au premier coup d'aiguille, gonflées de vacuité, se dispersant dans les airs comme tristes ballons de baudruche. Cerise pourrie sur le gâteau : son mariage raté, qui ne tient qu'à la faveur de petits arrangements de façade. Une femme qui ne nourrit plus que de la haine à l'égard de son époux, et ne s'en cache pas. Un appartement conquis de haute lutte, sombre contrefaçon du luxe qui coule en rivière chez les riches (« En réalité, son appartement était semblable à ceux de tous les gens qui ne sont pas très riches et qui s'efforcent de ressembler aux riches, mais ne parviennent qu'à se ressembler entre eux »). Ivan Ilitch aura passé sa vie à tenter de sauver les apparences et les meubles, et n'aura fait, au bout du compte, que se disperser à côté de l'essentiel. Tandis qu'il agonise, les mensonges dont il s'est nourri des années durant le rattrapent, lui sautant au visage comme des chiens enragés. Un autre mensonge le frappe : celui que son entourage s'obstine à tisser autour de sa maladie. On veut lui faire croire qu'une guérison est possible, alors qu'on le sait condamné depuis les premiers assauts du mal.
Ivan Ilitch se retrouve alors nu et désarmé. Seul le paysan Guérassime lui témoigne un peu d'affection et de compassion. Les autres lui font comprendre qu'il contrarie leurs plans en n'en finissant pas de mourir et qu'il serait d'assez bon ton qu'il débarrasse rapidement le plancher. Le voilà seul, livré à un sordide tête-à-tête avec elle, la douleur tellement présente et puissante qu'il finit par l'apercevoir « distinctement qui le regarde par-dessus les fleurs ». Elle et lui ne font bientôt plus qu'un. Pourtant, jusqu'au bout, Ivan Ilitch espère une miraculeuse guérison. « Vivre ! Je veux vivre ! », se dit-il encore peu de temps avant de passer de vie à trépas, et ces mots nous entrent dans l'âme comme un écho déchirant.
Je continue à explorer le vertigineux univers de Tolstoï, et je ne cesse de m'émerveiller devant le génie de cet écrivain dont les récits, comme le dit si bien Gilles Lapouge, semblent « n'avoir été écrits par personne ». Un mystérieux narrateur omniscient, plongeant au cœur des ténèbres ou des palpitations de chaque personnage, fait du lecteur son complice, lui offrant comme par miracle l'omniscience à lui aussi...