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Le serre-livres - Page 4

  • Que reviennent ceux qui sont loin, un livre magnifique de Pierre Adrian !

    -N'achète pas ce livre, n'oublie pas que tu vas déménager bientôt. Ce sera un de plus qu'il faudra mettre dans un carton !

    -D'accord, mais je viens d'en lire de larges extraits et ils m'ont parlé, j'ai l'impression que c'est ma propre histoire qui est racontée dans ces pages.

     

    Sagement, je repose le livre sur l'étagère de la librairie... Nous sommes le mardi 7 mai.

     

    -Quand même, c'est trop dommage. Ce roman a l'air génial et j'ai un long week-end devant moi. Je ne pars pas, je vais pouvoir m'enivrer de lecture sous le soleil, si celui-ci se décide enfin à être de la partie.

     

    Je reprends le livre. Et l'achète... Tant pis. Un de plus ou un de moins, ça ne changera rien, de toute façon.

     

    Le livre en question, c'est Que reviennent ceux qui sont loin, de Pierre Adrian. C'est l'histoire de je ne sais combien de mois d'août qui se succèdent dans une maison de famille, en Bretagne. Le narrateur y vient chaque année. Il y passe plusieurs semaines. Plus tard, il ira goûter d'autres mers (moins froides !), d'autres plages (au sable moins fin !). Pour s'apercevoir que son vrai pays, c'est la Bretagne. Et décider d'y retourner chaque année.

    En août, dans ce coin de Bretagne, les journées s'écoulent dans une certaine paresse. Quand il pleut, on sort les jeux de société. On maudit un peu cette région où si souvent la bruine s'invite. On a à peine le temps de la maudire que déjà le soleil revient. Magie des ciels bretons, qui passent si brusquement de la colère à l'apaisement ! Quand le soleil se fait généreux, on file à la plage, mener des conversations futiles dont on ne retiendra rien.

    Et la maison semble veiller sur ce petit monde en vacances. Elle est comme un rempart contre l'éphémère. Elle, elle résiste, elle demeure ! Elle est un personnage à part entière dans ce livre. Tout comme les objets qui dorment entre ses murs. Faïences de Quimper, bols bretons. J'ai connu tout ça... J'ai connu les après-midi de farniente sur des plages bretonnes, les conversations paresseuses, le sable qui vous suit jusque dans votre lit. Les après-midi de pluie aussi. Les valises dans l'entrée et cette tristesse qui vous saisit rien qu'à leur vue la veille du retour. La maison de famille qu'on laisse régulièrement derrière soi et qui ne vit que lorsqu'on daigne y revenir. La mer qu'à l'aller on aperçoit une première fois à Saint-Brieuc, pas avant (de cela aussi, l'auteur parle). La mer qu'au retour on regarde une dernière fois avec un chagrin pas possible dans les yeux.

    Ce livre m'a émue aux larmes. L'écriture en est précise et douce. Elle engendre des atmosphères, elle dessine des lieux, elle croque des personnages. Elle raconte également un drame. Une profonde injustice qui laisse toute la famille sans voix.

    Le mois d'août est pareil à la vie, nous dit Pierre Adrian : il est plein d'une beauté qui va vers son déclin... Et capable aussi de produire des tragédies. Un livre à découvrir de toute urgence, même quand on n'a pas passé tous ses étés en Bretagne quand on était enfant !

  • Guy Goffette, compagnon de route...

    Aimez-vous Guy Goffette ? Vous ne le connaissez pas ? Ne rougissez pas, il ne vous en aurait pas voulu ! Si j'ai eu la chance de le lire et même de le côtoyer souvent à une époque, c'est grâce à sa venue en Lorraine, il y a de cela presque trente ans : il avait décidé de rééditer comme il se devait le poète lorrain Lucien Becker, né à Béchy, petit village situé tout près de chez moi. Guy Goffette était venu parler de Becker dans la ville où celui-ci avait vécu : Dieuze. J'avais été subjuguée par la manière dont il avait présenté le poète qu'il aimait tant. Et j'avais alors fait d'un poète deux coups (pardonnez-moi ce mauvais jeu de mots) : j'avais acheté le recueil de poèmes de Lucien Becker, ainsi que plusieurs autres de Guy Goffette. Nous avions longuement discuté, lui et moi. J'entamais alors ma carrière de prof. Guy m'avait clamé son amour de la langue allemande. Il m'avait prédit un bel avenir dans le métier dans lequel je débutais. Il était persuadé que je saurais séduire mes élèves. Je ne sais pas si j'ai été à la hauteur de sa prédiction, mais je sais qu'elle me donna des ailes et que j'y pensai souvent par la suite.

    Lorsque nous fîmes connaissance, je venais d'apprendre que j'allais effectuer la rentrée à venir à Vouziers, dans les Ardennes. À ce moment-là, Guy habitait à Charleville-Mézières. Il me donna généreusement son adresse en me disant : « Passez me voir ». Ce que je fis régulièrement lorsque je fus installée à Vouziers. Chez lui, un soir d'automne, il me fit découvrir les entretiens de Paul Léautaud, écrivain que je ne connaissais alors que de nom. Nous passâmes un certain nombre d'heures à écouter attentivement l'un des maîtres de Goffette.

    En juin de l'année suivante, je quittai les Ardennes. Guy et moi nous écrivîmes un peu, puis de moins en moins. J'eus la chance de le revoir parfois, notamment à des salons du livre. Et également à une matinée consacrée à Verlaine à la médiathèque de Metz, puis à la librairie L'Autre Rive à Nancy. Je ne perdis jamais de vue son œuvre. Je crois que j'ai à peu près tous ses livres, dont certains ornés de belles dédicaces de sa part. Il avait une écriture un peu surannée, que j'aimais beaucoup.

    En 2021, ne disposant plus de son adresse (je savais qu'il avait quitté Charleville depuis longtemps), je décidai de lui envoyer un petit mot chez son éditeur et employeur (il y fut lecteur), Gallimard. Envie de lui exprimer ma gratitude. De lui dire que ses livres m'avaient aidée à traverser la vie. Eh oui, je suis comme ça : une incorrigible admiratrice qui dit ses innombrables admirations ! C'est ainsi que j'ai écrit récemment à Jérôme Garcin aussi, pour les mêmes raisons (et il m'a répondu par une très jolie carte postale que je garde précieusement). Bref... En 2021, Guy Goffette m'envoya à son tour quelques lignes. Que je garderai précieusement aussi !

    Ses plus beaux écrits selon moi ? Sans doute ses poèmes. Petits exemples, tirés de La vie promise :

    « la beauté, c'est que tout

    va disparaître et que, le sachant,

    tout n'en continue pas moins de flâner ».

     

    « La nuit

    tombe, l'aube se lève, un été a passé.

    Déjà, disent les fumées du hameau

    tandis que des animaux sans colère continuent

    d'amasser l'or du temps, l'or

     

    de nos yeux avides et si vite fermés ».

     

    Mais il y a aussi Verlaine, d'ardoise et de pluie, Elle, par bonheur et toujours nue, et surtout Géronimo a mal au dos, livre dans lequel Goffette raconte sa relation tourmentée avec son père. C'est très touchant. On ne sort pas indemne de cette lecture qui vous transperce.

     

    Guy Goffette s'est éteint le 28 mars dernier, je l'ai appris en écoutant La librairie francophone, et cette mort me gâche un peu le printemps... Adieu, cher ami. Je vous promets que vous continuerez de cheminer longtemps à mes côtés. Aussi longtemps que je vivrai !

  • Bernhard Schlink était à la salle Poirel, à Nancy, hier soir

    En 1998, je lisais Der Vorleser (Le Liseur) pour la première fois. Je l'ai relu une fois depuis. Je me souviens encore très précisément de l'émotion qui fut la mienne à la découverte de ce roman hors du commun. Le narrateur, Michael Berg, raconte ici l'histoire d'amour qu'il a vécue, quand il était adolescent, avec Hanna Schmitz, de vingt-et-un ans son aînée. Je ne veux pas tout dévoiler de l'intrigue, au cas où vous n'auriez pas lu ce livre. En tout cas, je peux dire qu'on trouvera là les plus belles pages qui aient jamais été écrites sur la culpabilité. De lancinantes questions taraudent Michael lorsqu'il apprend quel rôle a joué, durant la Seconde Guerre mondiale, la femme qu'il a aimée. Une question, en particulier, le hante : avoir frayé avec une coupable fait-il de lui un autre coupable ? En filigrane, c'est toute l'histoire de l'Allemagne qui s'inscrit dans ce questionnement qui ne trouvera jamais de réponse.

    Et voilà qu'hier soir, grâce aux rencontres du Livre sur la Place, Bernhard Schlink se tenait face à un public fourni, salle Poirel, à Nancy. Oui, à Nancy ! L'auteur était interviewé par Sarah Polacci et traduit, avec brio, par Bertrand Brouder. Il fut principalement question du dernier roman de Schlink, La petite-fille (Die Enkelin en allemand). Je n'ai pas encore lu ce livre, mais ça ne saurait tarder. Les thèmes qui s'y déploient font partie de mes « dadas » : le roman raconte la vie d'une femme, Birgit, qui, aidée par Kaspar (qui deviendra son mari), a fui la RDA pour s'installer en Allemagne de l'Ouest. Avec tous les sacrifices que cela implique. Notamment un, et pas des moindres : en quittant son pays, Birgit a également laissé derrière elle une fille qu'elle a eue avec un Allemand de l'Est. À la mort de Birgit, Kaspar découvre l'existence de cette fille et part à sa recherche.

    Tout au long de l'entretien, Sarah Polacci évoque les sujets qui traversent le roman : la difficulté à habiter le monde, à y trouver un chez-soi (et Bernhard Schlink de répondre que l'homme ne trouve jamais de véritable lieu à soi en ce monde), les incompréhensions persistantes entre les Allemands de l'Est et ceux de l'Ouest (l'auteur se dit pourtant optimiste : il pense que le temps finira par gommer ces incompréhensions), l'importance de l'art. À la fin, Sarah Polacci parle du retentissement qu'a eu La petite-fille en France : 60 000 exemplaires vendus. Bernhard Schlink s'en réjouit et souligne un fait qui m'a souvent frappée moi aussi : si les politiciens français et allemands ne font plus grand-chose pour le rapprochement de nos deux pays, la littérature a encore ce pouvoir. Je déplore souvent le manque d'implication des politiques, encore plus en cette année 2023 qui est celle des soixante ans du traité de l'Élysée. De part et d'autre de la frontière, des discours creux. Des promesses que la réalité ne permettra pas de tenir. Moi qui enseigne l'allemand et assiste à la progressive disparition de cette langue dans un grand nombre d'établissements scolaires, je ne peux que me désoler. Heureusement, la ville de Nancy œuvre cette année à sa façon pour que le traité de l'Élysée ne soit pas lettre morte reléguée au fond d'un placard poussiéreux : elle a fait de l'Allemagne le pays invité d'honneur du Livre sur la Place. Qu'elle en soit remerciée !