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Le serre-livres - Page 4

  • Notes sur le chagrin...

    Notes sur le chagrin, de Chimamanda Ngozi Adichie : voilà un petit livre qui renferme en ses 101 pages une incroyable puissance. Puissance de l'écriture, sans fioritures, puissance des sentiments pour un père absent, mort en pleine pandémie de coronavirus, à l'âge de 88 ans. Chimamanda Ngozi Adichie raconte les réunions Zoom auxquelles son père prend d'abord part, puis celles auxquelles il ne prend plus part. Face à la mort de ce père adoré, elle assume pleinement son déni : elle n'a pas envie d'ouvrir les lettres de condoléances qui disent trop une vérité qu'elle refuse. De même qu'elle n'a aucune envie d'accomplir les gestes qui viendraient entériner ce qu'elle ne peut accepter : la mort de son père. Elle se demande ce qu'elle pourrait faire pour « déproduire » cet événement qui a marqué son existence d'une pierre noire.

    Notes sur le chagrin est un livre grave, mais qui fait du bien quand on est soi-même endeuillé. Il nous montre qu'on n'est pas seul. Il dit le néant auquel tout décès nous confronte, ainsi que l'effroi, la douleur et cette étrange hébétude qui, de longs mois durant, amène à fonctionner plus qu'à vivre réellement.

    Parallèlement à cette lecture, j'ai écouté toute cette semaine le dernier album d'Emily Loizeau. Une pure merveille, comme toujours ! Un joyau très ancré dans l'actualité. Sachant cela, s'étonnera-t-on qu'il se trimbale une forte charge mélancolique ? Même pas peur en ce qui me concerne : un certain Hubert-Félix Thiéfaine est passé par là ! La mélancolie, il la connaît tellement bien qu'il s'en est fait, comme d'autres avec la solitude, « presque une amie, une douce habitude ». La preuve : il a raccourci son nom, la réduisant parfois d'une syllabe, pour l'appeler « mélanco ». Comme on donnerait un surnom affectueux à qui nous accompagne depuis des lustres. Bref, revenons à l'album d'Emily Loizeau. La première chanson est, selon moi, la plus belle de l'ensemble. Elle est intitulée Le poids de l'existence et évoque le drame du Bataclan. Une strophe, en particulier, m'interpelle : « C'est alors que les ombres ont ajouté à nos êtres cette part du Monde qui au fond nous avait échappé ». Strophe que je relie au deuil, ce qui me ramène au livre de Chimamanda Ngozi Adichie. Perdre un être cher, n'est-ce pas ajouter en son cœur tout le tragique du monde, tout le poids de l'existence ?

  • Durch alle Zeiten, un roman d'Helga Hammer

    Âmes prudes s'abstenir car voici la vie, ou plutôt le combat (mais est-ce que cela ne revient pas au même, dans tous les cas et pour tout le monde ?), d'Elisabeth, une femme qui n'a pas froid aux yeux et qui ne se laisse pas impressionner par les soi-disant convenances. Aujourd'hui, elle ne détonnerait guère, mais durant les années 1950-1960, dans un petit village des Alpes autrichiennes, ce n'était pas la même chose !

    L'histoire d'Elisabeth nous est racontée par son amie Helga Hammer. Celle-ci, pour bâtir son roman, s'est appuyée sur des faits réels, mais a également brodé, extrapolé, inventé. Ce qui ressort de ces pages, c'est l'impression d'une vie bien remplie (ein erfülltes Leben, écrit l'auteure).

    Jeune fille, Elisabeth, issue d'un milieu modeste, rencontre un garçon de très bonne famille. Évidemment, le mariage qu'ils espèrent tous deux ne peut avoir lieu. Les parents du jeune homme s'y opposent. Niklas épousera celle que sa famille lui destine. Et sera malheureux dans les somptueux murs de sa somptueuse maison (et je pense aux mots si justes de Max Prosa : « Manchmal spielt ein böser Traum in einem wunderschönen Raum »). Elisabeth, elle, se consolera comme elle pourra dans les bras de l'un, puis dans les bras de l'autre. Niklas, devenu vétérinaire dans le même village, continuera à apporter son soutien à Elisabeth. D'ailleurs, le livre s'ouvre sur une scène assez cocasse : Niklas aide Elisabeth à mettre au monde un enfant qui n'est pas de lui. Leur histoire ne prendra jamais réellement fin. Je n'en dis pas plus. Encore que je pourrais le faire sans trop de scrupules car Helga Hammer n'est malheureusement pas traduite en français. Ben écoutez, les amis, il ne vous reste plus qu'à apprendre la merveilleuse langue de Goethe, je ne vois que ça !

    J'ai trouvé le livre d'Helga Hammer en août, à Darmstadt, dans un de ces petits bacs que les libraires mettent parfois devant leur vitrine et qui recèlent souvent des trésors qui coûtent trois fois rien. Au début, j'avais quelques réticences : peur de tomber sur un bouquin trop sentimental. Mais j'ai fini par me dire qu'à ce prix-là, je pouvais bien prendre le risque d'une déception. Comme il est bon de se montrer un peu aventurier parfois ! Je ne regrette pas d'avoir accordé une chance à ce roman. On est bien loin de la guimauve à l'eau de rose. C'est même carrément trash par moments !

    Ce que je retiens de cette lecture enchanteresse pourrait être largement résumé par ces mots d'Higelin : « Vivez heureux aujourd'hui… Demain il sera trop tard ». Elisabeth ou le destin hors norme d'une femme qui s'est donné les moyens d'avoir un destin hors norme !

  • Merci maman et Marcel Aymé !

    Mon premier grand choc de lecture, c'est un folio junior qui se trouve encore dans ma bibliothèque, parmi les ouvrages plus sérieux de l'âge adulte. Il est le voisin un tantinet léger de Dire adieu, de Sophie Avon, et c'est tant mieux qu'il soit un tantinet léger, il faut bien ça pour digérer les adieux !

    Ce livre, c'est Les contes bleus du chat perché, de Marcel Aymé. Il me suffit de l'ouvrir pour retrouver des saveurs d'enfance. Je me revois encore le lire dans mon lit, sous la fenêtre, dans la petite maison de Bretagne où je passais toutes mes vacances. Je me souviens de l'avoir lu essentiellement pendant une nuit d'orage où j'avais peur et où la compagnie de Marcel Aymé me fut d'un grand secours.

    J'ouvre le folio junior et j'y trouve mon écriture un peu partout. Voilà ce que j'y lis : « Catherine Auboyer, CE2, huit ans, née le 14 octobre 1973. Ce livre, on peut le lire j'usque 75 ans (sic !), mais très précieusement ». Pourquoi très précieusement ? Allez savoir ! L'enfance a ses secrets que l'âge adulte ne percera jamais ! Tout à la fin, je lis ceci : « Je remercie Marcel Aymé pour ses contes. Ce livre était beau merci maman et Marcel Aymé ». Le tout lâché sans ponctuation, comme en un seul souffle ! J'ignorais alors les lois de la syntaxe et la belle et nécessaire respiration qu'une virgule vient poser dans une phrase. Qu'à cela ne tienne ! Je vois, dans la naïveté de mes différents remerciements, quelque chose qui en dit long sur ce qui lie un auteur et ses lecteurs. Les livres ne sont-ils pas là pour adoucir la vie, la rendre plus grande, plus folle, plus vivable, tout simplement ?

    Catherine Auboyer, CE2, huit ans, ou Catherine Auboyer, 47 ans, c'est du pareil au même. Aujourd'hui encore, quand un livre m'a plu, percutée, bouleversée, portée pendant tout notre compagnonnage, je ne suis que gratitude, je redeviens la petite fille disant merci !

    Les contes bleus du chat perché ouvrirent mille horizons à l'enfant que j'étais. Ils marquèrent le début d'une longue aventure, qui n'a pas cessé aujourd'hui. Je vis entourée de livres. Déjà lus ou pas encore. Les déjà lus, il me suffit de leur porter un seul regard pour savoir quels remerciements je pourrais leur adresser. Les pas encore lus sont des promesses empilées sur un rayonnage qui penche ou une table de nuit qui croule !

    C'est à ma mère, j'en suis certaine, que je dois cet amour des mots qui ne me quittera sans doute jamais. C'est à Marcel Aymé que je dois d'avoir voulu aller plus loin encore dans la découverte de mondes fabuleux, rendus accessibles par la lecture. Alors, aujourd'hui encore, je peux l'écrire : « Merci maman et Marcel Aymé » !