Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le serre-livres - Page 3

  • Les confidences, de Marie Nimier

    Aujourd'hui, la lumière est terne et le ciel de plomb. Rien qu'à les regarder dans leur connivence canaille, ces deux-là, on devine qu'il ne doit pas faire bon se promener dans leur décor oppressant. Autant renoncer aux dix mille pas quotidiens recommandés et aller déambuler dans les pages d'un livre, n'est-ce pas ? Ce week-end, j'ai oscillé entre un ouvrage en allemand, Damals nach der DDR, et un livre de Marie Nimier, Les confidences. Les deux ont un point commun : ils relatent des histoires humaines, des bouts de vie. Le genre de truc qui me passionne.

    L'ouvrage en allemand est ancré dans une réalité historique et géographique, celle de l'après-RDA, quand tout venait de s'écrouler et qu'on ne savait pas encore très bien comment on allait reconstruire. Celui de Marie Nimier est finalement plus universel. Il y a quelques années, lors du festival Bifurcations de Nantes où elle était invitée, on lui demanda de faire de son passage dans la ville l'occasion d'aller à la rencontre des gens. De fil en aiguille, au cours d'une discussion avec l'organisateur du festival, elle proposa de recevoir les confidences de personnes volontaires. Elle déposa plusieurs petites annonces dans la ville. Le tout se ferait dans un appartement où le mobilier serait réduit à sa plus simple expression : une table, deux chaises, un porte-manteau. Dans un coin, un philodendron. Rien de plus. Marie Nimier, les yeux bandés, recevrait là toute personne désirant se décharger d'un poids, d'un secret, d'un rêve, d'un regret ou d'un remords.

    De jour en jour, les êtres défilent. Marie Nimier les écoute. Elle est, on peut le dire, tout ouïe. N'ayant pas la possibilité de voir ces individus qui viennent lui rendre visite (et, dans le même temps, c'est aussi à eux-mêmes qu'ils rendent visite), elle se concentre sur leur voix, leur respiration, leurs silences et leurs mots. Parfois aussi, elle s'attache aux cliquetis d'un bracelet. Peut-être, se dit-elle, sont-ils destinés à couvrir le bruit d'un certain chaos intérieur ?

    Elle engrange toutes sortes d'histoires, des tristes, des saugrenues, des surprenantes. Elle ne prend pas de notes. Ce n'est qu'une fois que les visiteurs sont partis qu'elle confie au papier ce qu'ils lui ont laissé. Il y a donc tout un travail d'écriture, ou de réécriture. Les anecdotes ou les secrets sont passés au tamis de sa propre sensibilité. Ce qui, selon moi, ramène à la question de la création artistique. Comment naît-elle et de quoi se nourrit-elle ? Comment les mots que l'on écrit traitent-ils la réalité ? Que devient-elle sous leur « autorité » ? Le livre contient en filigrane toutes ces interrogations.

    Peu à peu, les confidences qu'elle recueille submergent Marie Nimier. Et la contraignent à penser au grand absent de sa vie, son père, décédé quand elle avait cinq ans. Les dernières pages sont donc les siennes et ce sont ses propres confidences qui s'y déploient.

    On sort de cette lecture avec un sentiment un peu bizarre. Chaque histoire, à sa manière, secoue. Il y a ce père qui déclare d'emblée adorer ses enfants, mais ne cache pas que parfois il souhaiterait les voir disparaître, comme ces vesses-de-loup dont la substance s'évapore quand on les piétine. Il y a cette femme qui porte le fardeau d'un passé trop lourd pour ses épaules et qui a changé de ville et de vie, se forgeant une nouvelle identité, moins sale à ses yeux. Il y a cet homme qui est persuadé de ne pas être assez bien pour celle dont il partage la vie. De nombreuses histoires nous renvoient à celles qui nous habitent nous aussi. Secrets plus ou moins encombrants. Souvenirs plus ou moins glorieux. Petits regrets et grands remords qui, parfois, dans « les lueurs des nuits blanches et hostiles » (j'emprunte ces mots à Hubert-Félix Thiéfaine), dessinent des ombres dans la mémoire...

  • L'écharpe rouge, d'Yves Bonnefoy

    On ne sait pas toujours ce qui décide d'une vocation. Cela peut être trois fois rien. Peut-être même un malentendu. Parfois aussi, ce sont des méandres complexes qui, hier, ont fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui. On peut les « remonter » pour tenter une immersion dans les origines. C'est ce que fait Yves Bonnefoy dans L'écharpe rouge. Dans ce récit, il revient sur tout ce qui l'a poussé à écrire. Les souvenirs reviennent en abondance et s'entrechoquent dans une succession haletante. D'abord, il y eut ce père qui, notamment à la fin de sa vie, préférait le silence aux mots. Sans doute parce qu'il respectait infiniment ces derniers. Ensuite, il y eut cette mère qui offrit à son fils un abécédaire assez sommaire. De ceux qui appellent un chat un chat, sans chercher à aller plus loin que le bout de cette lorgnette. De quoi aiguiser l'appétit et l'imagination de l'enfant qu'était Yves Bonnefoy.

    Plus tard, il sera celui qui ne pourra se borner à appeler un chat un chat. Il sera (et ça c'est moi qui le dis) le poète de toutes les élégances, parfois ardues. La poésie de Bonnefoy requiert qu'on s'y plonge, non pas la tête la première, mais plutôt le cœur le premier, en oubliant tout ce qu'on a lu auparavant ! Elle ne se donne pas facilement, mais quand elle se donne, c'est pur bonheur. Ce poète m'accompagne depuis de longues années. Parfois je l'oublie un peu. Toujours j'y reviens quand même. Peut-être pour ça :

    « C'est la dernière neige de la saison

    La neige de printemps, la plus habile

    À recoudre les déchirures du bois mort

    Avant qu'on ne l'emporte puis le brûle ».

    Ou peut-être pour ça :

    « Que ce monde demeure,

    Que la feuille parfaite

    Ourle à jamais dans l'arbre

    L'imminence du fruit ! ».

    Lorsque j'ai découvert, dernièrement, L'écharpe rouge dans une librairie de Metz, j'ai su que ce livre devait venir prendre place parmi les autres que j'ai et qui semblaient l'attendre. L'écharpe rouge, ce ne sont pas seulement des pages qui empilent les souvenirs et qui interrogent sur le pourquoi et le comment d'une vocation, c'est aussi une lettre d'amour adressée à des parents qui ne sont plus, mais dont la rencontre recela suffisamment de magie pour qu'il en rejaillisse un peu sur leur descendance.

    D'une certaine manière, Bonnefoy semble avoir écrit toute sa vie pour combler les blancs : blancs nés des longs silences de son père, blancs nés d'un abécédaire un peu trop péremptoire, un peu trop réaliste. On ne peut que remercier, en tant que lecteur, les circonstances qui décidèrent d'une exquise vocation !

     

  • La volonté, le (très beau) dernier livre de Marc Dugain

    Ça y est, « il automne à pas furtifs, il automne à pas feutrés », comme chantait Barbara. C'est la saison idéale pour s'enfermer avec des livres qui nous tiendront chaud ! Bientôt sortira celui de Sébastien Bataille, consacré à Thiéfaine, et je me promets de le lire au début des vacances. Quelle aubaine qu'il arrive à ce moment-là ! C'est marée en carême !

    En attendant, je tente d'honorer comme il se doit le stock de bouquins qui orne les étagères de mes bibliothèques. C'est qu'il m'en vient de toutes parts, tout le temps ! Et qu'il convient de ne pas faillir devant la quantité ! L'idéal serait sans doute de ne pas la faire prospérer outre mesure, mais ça c'est une autre histoire qui ne sera décidément jamais la mienne !

    Bref... Ce matin, j'ai terminé le dernier livre de Marc Dugain, La volonté. Ouvrage commencé dimanche soir. Dès les premières pages, j'ai senti que je tenais entre mes mains une délicieuse bombe qui ne pouvait qu'exploser en moi. Au commencement, une chambre d'hôpital dans laquelle s'achève une vie humaine, celle du père de Marc Dugain. Une vie hors du commun, marquée par d'innombrables embûches dont seule une imperturbable volonté viendra à bout. Un jour où Marc Dugain rend visite à son père, il constate que ce dernier a éconduit, poliment mais fermement, l'aumônier de l'hôpital. Ce qui l'amène à comprendre une chose : désormais, ce sera lui, le fils cadet, qui sera le dépositaire de la mémoire de son père.

    Le récit fait d'abord place à l'enfance de ce père. Celle-ci s'écoule en Bretagne, auprès d'une mère que son époux, marin au long cours, condamne la plupart du temps à la solitude. Un jour, un sombre diagnostic s'abat sur la famille : l'adolescent est atteint de poliomyélite. Ses deux jambes semblent fichues à tout jamais. On l'envoie à Paris, auprès d'un grand professeur qui parviendra à sauver une jambe. L'enfant craint que l'avenir radieux qu'il espérait ne lui soit désormais refusé. Il va alors s'employer à déjouer tous les pronostics. Au lycée, il se prend de passion pour les matières scientifiques, ce qui lui sera fort utile dans le métier qu'il exercera plus tard. Il aime particulièrement les probabilités et les équations, comme si elles étaient un peu les paraboles de toute destinée humaine. Un jour, dans un train, il rencontre une jeune fille qui peine justement sur une série d'équations. Il les résout une à une. Ils se revoient et chacun devient pour l'autre l'évidence à la fois attendue et inespérée. Ils se marient, contre la volonté de sa famille à elle. C'est qu'on ne voit pas d'un très bon œil le lien qui unit la radieuse jeune fille à l'infirme. Ils sentent que pour échapper à la lourdeur des conventions en tous genres, ils doivent quitter la France. Ils partent s'installer en Nouvelle-Calédonie, puis en Afrique, où naîtra Marc Dugain. Le premier fils est né quelques années plus tôt en Nouvelle-Calédonie.

    La volonté retrace, entre autres, l'histoire d'amour qui unit le couple parental. Ce sentiment prend tant de place qu'il met les deux enfants dans une situation inconfortable. Ils ne savent pas toujours très bien où se situer face à ce roc solide qui semble les exclure. Entre Marc Dugain et son père, l'amour s'affirmera sur le tard. Mais pas trop tard cependant. Ils ont failli se rater, et s'ils ont fini par se trouver, cela s'est joué à peu de choses. Ultime délicatesse d'une vie qui n'a pas toujours su en faire preuve ?

     

    Je dédie ce billet à mon père, dont la volonté sut, elle aussi, faire des miracles...