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Les confidences, de Marie Nimier

Aujourd'hui, la lumière est terne et le ciel de plomb. Rien qu'à les regarder dans leur connivence canaille, ces deux-là, on devine qu'il ne doit pas faire bon se promener dans leur décor oppressant. Autant renoncer aux dix mille pas quotidiens recommandés et aller déambuler dans les pages d'un livre, n'est-ce pas ? Ce week-end, j'ai oscillé entre un ouvrage en allemand, Damals nach der DDR, et un livre de Marie Nimier, Les confidences. Les deux ont un point commun : ils relatent des histoires humaines, des bouts de vie. Le genre de truc qui me passionne.

L'ouvrage en allemand est ancré dans une réalité historique et géographique, celle de l'après-RDA, quand tout venait de s'écrouler et qu'on ne savait pas encore très bien comment on allait reconstruire. Celui de Marie Nimier est finalement plus universel. Il y a quelques années, lors du festival Bifurcations de Nantes où elle était invitée, on lui demanda de faire de son passage dans la ville l'occasion d'aller à la rencontre des gens. De fil en aiguille, au cours d'une discussion avec l'organisateur du festival, elle proposa de recevoir les confidences de personnes volontaires. Elle déposa plusieurs petites annonces dans la ville. Le tout se ferait dans un appartement où le mobilier serait réduit à sa plus simple expression : une table, deux chaises, un porte-manteau. Dans un coin, un philodendron. Rien de plus. Marie Nimier, les yeux bandés, recevrait là toute personne désirant se décharger d'un poids, d'un secret, d'un rêve, d'un regret ou d'un remords.

De jour en jour, les êtres défilent. Marie Nimier les écoute. Elle est, on peut le dire, tout ouïe. N'ayant pas la possibilité de voir ces individus qui viennent lui rendre visite (et, dans le même temps, c'est aussi à eux-mêmes qu'ils rendent visite), elle se concentre sur leur voix, leur respiration, leurs silences et leurs mots. Parfois aussi, elle s'attache aux cliquetis d'un bracelet. Peut-être, se dit-elle, sont-ils destinés à couvrir le bruit d'un certain chaos intérieur ?

Elle engrange toutes sortes d'histoires, des tristes, des saugrenues, des surprenantes. Elle ne prend pas de notes. Ce n'est qu'une fois que les visiteurs sont partis qu'elle confie au papier ce qu'ils lui ont laissé. Il y a donc tout un travail d'écriture, ou de réécriture. Les anecdotes ou les secrets sont passés au tamis de sa propre sensibilité. Ce qui, selon moi, ramène à la question de la création artistique. Comment naît-elle et de quoi se nourrit-elle ? Comment les mots que l'on écrit traitent-ils la réalité ? Que devient-elle sous leur « autorité » ? Le livre contient en filigrane toutes ces interrogations.

Peu à peu, les confidences qu'elle recueille submergent Marie Nimier. Et la contraignent à penser au grand absent de sa vie, son père, décédé quand elle avait cinq ans. Les dernières pages sont donc les siennes et ce sont ses propres confidences qui s'y déploient.

On sort de cette lecture avec un sentiment un peu bizarre. Chaque histoire, à sa manière, secoue. Il y a ce père qui déclare d'emblée adorer ses enfants, mais ne cache pas que parfois il souhaiterait les voir disparaître, comme ces vesses-de-loup dont la substance s'évapore quand on les piétine. Il y a cette femme qui porte le fardeau d'un passé trop lourd pour ses épaules et qui a changé de ville et de vie, se forgeant une nouvelle identité, moins sale à ses yeux. Il y a cet homme qui est persuadé de ne pas être assez bien pour celle dont il partage la vie. De nombreuses histoires nous renvoient à celles qui nous habitent nous aussi. Secrets plus ou moins encombrants. Souvenirs plus ou moins glorieux. Petits regrets et grands remords qui, parfois, dans « les lueurs des nuits blanches et hostiles » (j'emprunte ces mots à Hubert-Félix Thiéfaine), dessinent des ombres dans la mémoire...

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