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Le serre-livres - Page 2

  • La rabouilleuse, de Balzac

    De temps en temps, j'aime bien me plonger dans un grand classique. Cela me remet le subjonctif imparfait en place ! Et pas seulement. Cela me rappelle les enchantements de l'adolescence, quand découvrir Balzac, Stendhal, Zola, Flaubert et tant d'autres avait une saveur si particulière. Je pouvais passer des journées entières scotchée à un livre. J'en aurais oublié les besoins élementaires de mon organisme, le boire, le manger, tout ça … si ma mère n'avait pas ponctué le défilé des pages de ses appels obstinés ! Je me souviens d'un jour où je me pointai à table un livre à la main, dans l'espoir de poursuivre ma lecture pendant le repas. L'idée ne fut pas saluée par mon père, pour qui on ne mélangeait pas les nourritures spirituelles et les autres !

    Bref... En ces vacances de Toussaint, j'ai eu envie de relire Balzac. Balzac et ses longues descriptions dont je me repaissais quand j'étais jeune. Loin de m'ennuyer, elles faisaient naître en mon esprit des lieux, des ambiances, des êtres. C'était magique.

    Cette fois, j'ai lu La rabouilleuse, œuvre qui traînait chez moi depuis de longs mois. Une vieille édition, récupérée dans je ne sais quelle cabane à livres. Ah, ces cabanes, quelle invention ! Elles font ma joie et le malheur, en tout cas l'encombrement, de ma maison ! Je ne peux m'empêcher d'y ramasser tout ce qui me semble digne d'intérêt, et l'éventail est large, croyez-moi !

    Donc, La rabouilleuse... C'est une histoire difficile à raconter. Une femme, Agathe, se voit déshéritée par son père. Suite à la mort de son mari, elle élève seule ses deux garçons et les ennuis commencent quand un des deux, Philippe, se met à dilapider le peu de biens dont dispose la famille. Il est le fils prodigue à qui sa mère pardonne tout, et même celui qu'elle préfère. Joseph, l'autre fils, est d'une bonté incommensurable, toujours là pour sa mère, tandis que Philippe la piétine.

    Les années passent et, encouragée par sa pauvreté grandissante et les conseils des uns et des autres, Agathe se met en route pour Issoudun, ville où vit son frère. Celui qui a récupéré tout l'héritage, donc. Et auquel elle pourrait peut-être, qui sait, demander ce qui lui est dû. Elle mesure d'autant plus l'urgence de cette action que son frère est sous la coupe d'une certaine Flore Brazier (la rabouilleuse, c'est elle) qui serait bien capable, le moment venu, de dérober toute la fortune qui ne lui est pas due ! Agathe se retrouve donc, avec Joseph, à Issoudun, ville provinciale bornée, dépeinte sans complaisance par la plume balzacienne.

    S'ensuivent des péripéties inénarrables. Chaque heure qui passe apporte son cortège de rebondissements. Il faut suivre !

    La fin serait impitoyable et de taille à désespérer son homme si ne surgissait pas, inattendue et bienvenue, une frêle lueur d'espoir et de justice. Mais tout de même, dans ce roman comme dans d'autres de Balzac, la conclusion est assez pessimiste et la vie met du temps à punir les gredins !

  • Là où les eaux se mêlent...

    Un seul été par an, et il est bien trop court ! Dans quelques semaines, l'automne en enverra un de plus « dans le monde qu'on sait », comme disait Ferré, et vous m'en voyez contrariée d'avance. Il me vient de sombres mélancolies rien qu'à y songer. Alors n'y songeons pas !

    Plus que tout, en été, j'aime ces soirs où l'on ne se soucie pas du lendemain. Où l'on peut, comme en enfance, voler du temps au temps. Ces soirs-là, je m'installe dans mon lit avec un livre et je me délecte de l'activité qui, probablement, aura occupé la plus large part de ma vie : la lecture. J'aurais aimé que ce soit l'écriture qui détienne cette place privilégiée, mais cette pimbêche aime à faire des manières en tous sens. Elle adore se dérober à moi au moment où je l'appelle. Elle est comme un enfant frondeur dont la plus grande joie consisterait à faire vaciller la moindre autorité qui tenterait de le dompter (toute ressemblance avec des petits êtres ayant côtoyé ma vie et la côtoyant encore serait involontaire et totalement fortuite).

    Tandis que la lecture, elle, ah, c'est autre chose ! Aimable servante des jours de pluie et pas seulement. Aimable servante tout court.

    En cette fin d'été, si je devais faire un petit bilan de mes lectures, je dirais que deux livres sont sortis du lot à mes yeux : La rivière du sixième jour, de Norman Maclean, et Souvenirs de la marée basse, de Chantal Thomas. Ils ont un point commun : l'eau occupe une place centrale en leurs pages.

    Dans La rivière du sixième jour, l'eau est cet élément fabuleux qui abrite des poissons non moins fabuleux en ses ombres. Le narrateur s'adonne à la pêche à la mouche en compagnie de son frère et de son père. Son frère, Paul, tiens, parlons-en : il est un de ces gamins frondeurs que j'évoquais plus haut. Pas question pour lui d'obéir à la moindre règle. Trop ennuyeux, trop convenu. Mais s'il est un cadre qu'il respecte scrupuleusement, c'est bien celui de la pêche à la mouche. Là, il excelle plus qu'en tout autre domaine. Et Norman Maclean de nous livrer des pages d'une grande poésie où l'art de la pêche à la mouche est élevé au rang d'art de vivre. Dans sa famille, de la pêche à la religion, il n'y a qu'un pas. Et cette rivière qui fend le paysage, elle est un peu à l'image de nos vies : elle offre tantôt de belles prises, tantôt rien que des ombres. L'art consistant, cette fois, à ne pas se décourager devant la deuxième option. Et puis survient un terrible drame et là il n'est plus question d'art de vivre, seulement de survivre. Ce livre, c'est une description déchirante de la fragilité de tout ce que l'homme brasse et, par extension, de la fragilité de l'homme.

    Souvenirs de la marée basse est une succession d'épisodes. Ce sont des instantanés tirés de l'enfance, des étés (trop courts) passés sur la plage ou tirés de plus tard. Chantal Thomas évoque ici avant tout sa mère, grande nageuse qui lui transmit l'amour de l'eau. Cette fois, c'est la nage, en ce qu'elle implique de lutte contre les courants contraires et parfois contre soi-même, qui est érigée en art de vivre. Voilà un livre capable de vous arracher des fous rires aussi bien que des larmes. Fous rires quand Chantal Thomas raconte combien il est difficile de faire sortir de l'eau des enfants qui affichent la ferme volonté d'y rester (malgré le froid venu, malgré l'heure tardive, malgré les obligations des parents). Larmes quand il est question de la mère vieillissante et de la faiblesse qui, petit à petit, s'empare d'elle, l'éloignant jour après jour de l'eau tant aimée. Grâce à sa plume merveilleuse qui ondule comme une vague, Chantal Thomas nous fait sentir cette irréparable tragédie : un seul été par an, et il est bien trop court ! Avec la même délicatesse, elle nous met sous les yeux cette autre irréparable tragédie : une seule mère, et comme elle est fragile !

  • Sterben im Sommer (Mourir en été)...

    Perdre des êtres aimés, les voir partir sur une autre rive, sans savoir où celle-ci se situe, y a-t-il tâche plus difficile (et plus absurde) en cette vie ? À chaque fois, la même stupéfaction nous saisit devant le trou béant que la mort d'un proche ouvre sous nos pieds. De nombreux écrivains ont traité le sujet et cela peut réconforter aux heures sombres. Ainsi, Zsuzsa Bánk a publié, en 2020, un très beau livre sur la mort de son père, Sterben im Sommer. Zsuzsa Bánk, c'est une magicienne, qui sait faire surgir sous sa plume des ambiances variées, allant de la plus feutrée à la plus désagréable. Mon livre préféré de cette auteure ? Die hellen Tage. Traduit en français (Les jours clairs), alors n'hésitez pas ! Il s'agit d'un merveilleux roman sur l'enfance, les amitiés que l'on tisse à ce moment de notre vie et ce qui les rend uniques à jamais. Dernièrement, j'ai également relu un recueil de nouvelles de Zsuzsa Bánk, Heißester Sommer. Là encore, des ambiances très diverses. Des amours qui se font et se défont au fil du temps. Des êtres que l'on quitte et que l'on retrouve dotés d'une fragilité qu'ils n'avaient pas la fois précédente. Ce sont des nouvelles sur ce que la vie détricote en silence, irrémédiablement.

    Finalement, c'est le même sujet qui revient dans Sterben im Sommer. Dont une traduction vient de paraître en France, sous le titre suivant (totalement fidèle à l'original) : Mourir en été. Zsuzsa Bánk raconte ici les derniers mois de la vie de son père, son décès et l'absence. Il y a d'abord un ultime voyage en Hongrie, pays d'origine de son père. Une folie, peut-être, au vu de l'état de santé de celui-ci. Une bénédiction au vu de l'autre voyage qui l'attend. Puis viennent les mois cauchemardesques, l'hôpital, la souffrance, la peur. Zsuzsa Bánk évoque des scènes bien connues de tous ceux qui ont perdu des proches : ces errances dans de labyrinthiques hôpitaux, cette affreuse appréhension qui nous étreint quand on arrive et qu'on se demande dans quel état on va trouver la personne aimée.

    C'est à la fois triste et réconfortant. En nous livrant un portrait lumineux de son père, Zsuzsa Bánk fait revivre ce dernier. Et lui offre un sentier où il lui est encore possible de cheminer parmi les vivants...