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Là où les eaux se mêlent...

Un seul été par an, et il est bien trop court ! Dans quelques semaines, l'automne en enverra un de plus « dans le monde qu'on sait », comme disait Ferré, et vous m'en voyez contrariée d'avance. Il me vient de sombres mélancolies rien qu'à y songer. Alors n'y songeons pas !

Plus que tout, en été, j'aime ces soirs où l'on ne se soucie pas du lendemain. Où l'on peut, comme en enfance, voler du temps au temps. Ces soirs-là, je m'installe dans mon lit avec un livre et je me délecte de l'activité qui, probablement, aura occupé la plus large part de ma vie : la lecture. J'aurais aimé que ce soit l'écriture qui détienne cette place privilégiée, mais cette pimbêche aime à faire des manières en tous sens. Elle adore se dérober à moi au moment où je l'appelle. Elle est comme un enfant frondeur dont la plus grande joie consisterait à faire vaciller la moindre autorité qui tenterait de le dompter (toute ressemblance avec des petits êtres ayant côtoyé ma vie et la côtoyant encore serait involontaire et totalement fortuite).

Tandis que la lecture, elle, ah, c'est autre chose ! Aimable servante des jours de pluie et pas seulement. Aimable servante tout court.

En cette fin d'été, si je devais faire un petit bilan de mes lectures, je dirais que deux livres sont sortis du lot à mes yeux : La rivière du sixième jour, de Norman Maclean, et Souvenirs de la marée basse, de Chantal Thomas. Ils ont un point commun : l'eau occupe une place centrale en leurs pages.

Dans La rivière du sixième jour, l'eau est cet élément fabuleux qui abrite des poissons non moins fabuleux en ses ombres. Le narrateur s'adonne à la pêche à la mouche en compagnie de son frère et de son père. Son frère, Paul, tiens, parlons-en : il est un de ces gamins frondeurs que j'évoquais plus haut. Pas question pour lui d'obéir à la moindre règle. Trop ennuyeux, trop convenu. Mais s'il est un cadre qu'il respecte scrupuleusement, c'est bien celui de la pêche à la mouche. Là, il excelle plus qu'en tout autre domaine. Et Norman Maclean de nous livrer des pages d'une grande poésie où l'art de la pêche à la mouche est élevé au rang d'art de vivre. Dans sa famille, de la pêche à la religion, il n'y a qu'un pas. Et cette rivière qui fend le paysage, elle est un peu à l'image de nos vies : elle offre tantôt de belles prises, tantôt rien que des ombres. L'art consistant, cette fois, à ne pas se décourager devant la deuxième option. Et puis survient un terrible drame et là il n'est plus question d'art de vivre, seulement de survivre. Ce livre, c'est une description déchirante de la fragilité de tout ce que l'homme brasse et, par extension, de la fragilité de l'homme.

Souvenirs de la marée basse est une succession d'épisodes. Ce sont des instantanés tirés de l'enfance, des étés (trop courts) passés sur la plage ou tirés de plus tard. Chantal Thomas évoque ici avant tout sa mère, grande nageuse qui lui transmit l'amour de l'eau. Cette fois, c'est la nage, en ce qu'elle implique de lutte contre les courants contraires et parfois contre soi-même, qui est érigée en art de vivre. Voilà un livre capable de vous arracher des fous rires aussi bien que des larmes. Fous rires quand Chantal Thomas raconte combien il est difficile de faire sortir de l'eau des enfants qui affichent la ferme volonté d'y rester (malgré le froid venu, malgré l'heure tardive, malgré les obligations des parents). Larmes quand il est question de la mère vieillissante et de la faiblesse qui, petit à petit, s'empare d'elle, l'éloignant jour après jour de l'eau tant aimée. Grâce à sa plume merveilleuse qui ondule comme une vague, Chantal Thomas nous fait sentir cette irréparable tragédie : un seul été par an, et il est bien trop court ! Avec la même délicatesse, elle nous met sous les yeux cette autre irréparable tragédie : une seule mère, et comme elle est fragile !

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