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Le serre-livres

  • Chroniques de l'asphalte (3/5), de Samuel Benchetrit

    Si vous m'offrez un livre en cette année 2025, il n'est pas impossible que je ne le lise qu'en 2040 (supposons avec espérance que je sois toujours de ce monde en 2040 car j'ai pas fini ce que j'ai commencé, et ça, la maladie me l'a bien rappelé !). Je ne dis pas ça pour vous décourager, au contraire. Je vous dis ça pour que vous en concluiez qu'en fait, il ne faut jamais désespérer.

    Ainsi, quelqu'un (ou plutôt quelqu'une) m'avait offert, en 2010, Chroniques de l'asphalte (3/5), de Samuel Benchetrit. Ce bouquin a, depuis, vécu quelques déménagements. Sans s'en trouver nullement esquinté (j'adore ce mot qui restera à jamais lié à mon père, qui l'employait à tout bout de champ, déclenchant systématiquement un fou rire chez mes filles, notamment quand il disait à l'une d'elles : « Ne te mets pas si près de la télé pour la regarder, tu vas t'esquinter les yeux »). On peut dire que ce livre fait partie de mes compagnons de route. Et qu'il attendait son heure pour me révéler ses mystères.

    Son heure est arrivée il y a quelques jours. Et j'ai lu avec un immense plaisir ces chroniques qui sont tour à tour nostalgiques, philosophiques, humoristiques. Quand elles ne sont pas tout cela à la fois, ce qui est un réel tour de force !

    Dans ses chroniques, Samuel Benchetrit nous raconte les aventures de sa bande (Karim, Dédé, Daniel) et de lui-même. Enfin, on peut penser qu'il s'agit d'histoires vraies, même si elles sont surprenantes. Mais n'oublions jamais que la vie a plus d'imagination que les écrivains et que, par conséquent, toute ressemblance avec des faits réels pourrait bien ne pas être pure coïncidence.

    Il y a ce jeune homme, Tony, dit Toutoune, amoureux d'une fille avec qui il prend régulièrement le bus. Un jour, elle lui demande comment il s'appelle. Et lui de répondre, machinalement : « Toutoune ». Aveu qu'il regrettera amèrement par la suite. Dès lors, la fille change d'attitude à son égard. Les copains de Tony lui disent que c'est parce qu'il a eu la mauvaise idée de donner son surnom plutôt que son prénom. Je n'en dis pas plus. La suite est savoureuse. Lisez-la, tiens !

    Il y a cette femme qui se lance sciemment dans un mariage blanc avec un homme qui lui explique d'entrée de jeu qu'il n'envisage rien de sérieux avec elle, juste l'obtention de précieux papiers qui lui permettront de s'installer en France. Et la femme de s'entêter. Parce qu'elle veut à tout prix pouvoir dire un jour « Je suis une femme mariée »...

    Il y a cette panne d'ascenseur qui coince Franky et une fille sublime dans le même espace restreint pendant quelques heures. On ne saura jamais ce qu'il advint entre les deux durant la panne. Franky a peut-être un peu extrapolé rien que pour épater et narguer ses copains.

    Il y a cette boum où le narrateur se rend avec sa bande et où ils ne se sentent pas vraiment à l'aise. Et l'exquise plume de Samuel Benchetrit de comparer leurs tronches respectives à celles de « délinquants dans un commisssariat » !

    Il y a tout cela et plus encore. Il y a surtout des anecdotes venues tout droit de l'adolescence et qui ont rappelé des tas de trucs à la lectrice que je suis car, étant moi-même née en 1973, comme Benchetrit, je dansai pareillement sur Life is life ou encore Every breath you take. Nous sommes tous deux d'une époque où l'arrivée des slows sur la piste de danse vous mettait tous les sens en émoi, n'est-ce pas ?!

    Il y a aussi le style de Samuel Benchetrit, qui donne une couleur et un rythme absolument uniques à ces petites histoires qui, mises bout à bout, créent une fresque où s'étale délicieusement un monde qui n'est plus...

     

  • A lire de toute urgence : Une façon d'aimer, de Dominique Barbéris...

    Il est des livres tellement délicats qu'on ne peut y entrer que sur la pointe des pieds. On sent immédiatement qu'il faudra accorder notre pas au leur, et peut-être bien qu'il s'agit là, tout simplement, de ce que mon regretté Hector Bianciotti appelait le « pas si lent de l'amour »...
    Une façon d'aimer, de Dominique Barbéris, est de ces livres-là. Qui vous renversent en douceur. Qui vous atteignent au plus profond de vous, mais sans vous brusquer. Qui scindent votre vie de lecteur (ou de lectrice, dans mon cas !) en un avant qui s'ennuyait d'eux et un après qui s'en souviendra longtemps. Magie de la lecture, à nulle autre pareille ! On pénètre dans des mondes qui nous sont étrangers et nous deviennent familiers par la grâce des mots !

    Dans Une façon d'aimer, la narratrice évoque une tante à elle qui, dans les années 1950, suit son mari au Cameroun, où le mandat français va prendre fin. Cette tante, c'est Madeleine, une femme élégante et timide. On lui dit souvent qu'elle ressemble à Michèle Morgan.

    À Douala, elle fait de longues promenades avec sa fille, Sophie. Elle accompagne son mari à des soirées mondaines, tout en restant toujours un peu à côté. Cet univers-là n'est pas le sien. Et puis, un jour, un certain Yves Prigent, administrateur en poste, lui aussi, au Cameroun, la remarque. Madeleine intrigue cet homme qu'on dit « coureur ». Le jour de leur rencontre, elle porte une robe à fleurs. Plus précisément à violettes. Yves Prigent relève la distinction de l'imprimé. Plus tard, il rejoindra régulièrement Madeleine lorsqu'elle sera en balade avec sa fille. Ils se parleront peu, et pourtant... Pourtant, ils sembleront se comprendre plus encore dans leurs silences que dans les paroles qu'ils échangeront.

    Le livre dégage une certaine mélancolie, celle-là qui est propre aux amours qui n'ont pas été vécues. Vous savez, celles qui sont si déchirantes de n'avoir pas pu donner leur pleine mesure... On pense à la chanson de Duteil, Les mots qu'on n'a pas dits (oui, j'aime bien Yves Duteil, et je déteste qu'on le présente comme un chanteur niais car il est tout sauf niais), celle qui finit par ces paroles si bouleversantes :

    « Et la vie, doucement, referme de ses plis

    Ces chemins qui s'ouvraient et qu'on n'a pas suivis ».

    On pense également à La route de Madison, ce film (tiré d'un livre) qui nous fait plonger dans les méandres d'une passion qui ne se déploiera que brièvement...

    Durant la lecture d'Une façon d'aimer, on est baigné dans une atmosphère étouffante, celle de la ville de Douala, où la chaleur torride assomme ceux qui la subissent. On se retrouve catapulté dans un monde qui n'existe plus et que l'autrice dépeint minutieusement. On s'attache aux personnages, et notamment à Madeleine, cette femme qui, comme tant d'autres avant et après elle, n'aura vécu qu'à feu doux un amour qui, peut-être, ne demandait qu'à devenir un immense brasier !

  • Henri Calet : que c'était bon de passer le week-end en sa compagnie !

    "A la maison, mon père est entré dans une colère si grande que je ne l'en vis pas ressortir". Henri CALET, La belle lurette

     

    Et voilà, comme je ne fais jamais les choses à moitié (je me fatigue moi-même, parfois), j'ai passé presque tout le saint week-end aux côtés d'Henri Calet. Non contente d'avoir dévoré en une soirée (celle de vendredi) Peau d'ours, livre acheté le même jour à la librairie L'Autre rive de Nancy, j'ai jugé absolument indispensable, hier après-midi, de me procurer sans tarder un nouveau Henri Calet. N'importe lequel. Celui qui s'offrirait à moi dans la première librairie messine venue. Petit tour à la Cour des grands, où je rencontrai en septembre la délicieuse Agnès Desarthe (souvenir d'une conversation tout aussi délicieuse au sujet d'un post-it que je ne regarderai plus jamais sans sourire). Rien. D'Henri Calet pas l'ombre. Désespérant. Je filai alors à la Librairie autour du monde et j'y trouvai La belle lurette. Ben voilà, ce n'était pas compliqué.
    Arrivée chez moi, je sautai sur le bouquin. Hier soir, je me félicitai de n'avoir programmé aucune sortie, pour une fois. Cette absence de plan me permit de passer quelques heures avec Henri Calet, sous les couvertures de mon lit. Ah, cet Henri, croyez-moi, mieux qu'un vrai mec pour les extases ! Les miennes allant plutôt se promener du côté des mots, un écrivain, même mort, ça me va très bien ! Passer la soirée sous les couvertures en compagnie d'un écrivain présente de nombreux avantages : déjà, soyez certaine qu'il ne vous importunera pas avec d'intempestifs et fort regrettables ronflements. Ensuite, soyez certaine également qu'il ne vous brusquera pas, que c'est vous qui déciderez de tout : du rythme, du nombre de pages, de l'heure à laquelle il sera bon de refermer le livre. Hier, j'ai tout fait pour tenir le plus longtemps possible, mais il faut croire que mes déplacements essoufflés parce que frénétiques d'une librairie messine à l'autre m'avaient bien fatiguée : à 21h30, plus personne. Henri Calet lui-même eût-il été allongé à mes côtés que je ne l'aurais pas honoré d'un seul regard. Au fond de moi, une petite voix me suppliait de lutter contre l'épuisement afin de prolonger le plaisir de la lecture, mais elle (la petite voix) fut bien vite recouverte par un autre murmure, celui-là disant qu'il valait mieux dormir un bon coup pour s'assurer une lecture en pleine forme aujourd'hui.
    Et me voilà donc, à 15h15, heure miroir, en train d'écrire ces quelques lignes.
    La belle lurette, c'est, en gros, le récit des débuts dans la vie de son auteur. Même s'il ne dit pas explicitement qu'il s'agit de lui. Même si l'affaire est romancée. On se doute quand même de qui va là.
    Ce récit est savoureux. D'abord et surtout parce qu'il est écrit dans une langue aux petits oignons. Pas un mot de trop, pas un de travers, pas un qui dépasse et vous fasse dire « celui-là est de trop, celui-là est de travers, celui-là dépasse ». Non. Une exquise précision. Qui n'en rajoute pas. Ensuite, savoureux, le récit, parce qu'il dépeint avec humour la misérable jeunesse de son auteur (« c'est ma jeunesse et je n'en ai pas d'autre », écrit-il à la fin, comme pour s'excuser). C'est tellement triste parfois que cela en devient drôle. C'est ce que mon père disait des livres de Céline : « C'est tellement désespéré qu'à la fin on ne peut que se marrer ». Et de me mettre Voyage au bout de la nuit entre les mains, persuadé qu'il venait d'atterrir là où il devait. Mon père ne se trompait pas : ce fut une des plus grandes lectures de ma vie.
    Mais ne perdons pas de vue le si talentueux Henri Calet, qu'il serait bon de tirer de l'oubli honteux où on l'a relégué. Tout est décrit par le menu dans ce livre à la fois tendre et amer : ses amours, les sages et les moins sages, ses conneries de jeunesse, ses petites malhonnêtetés, son naufrage scolaire.

    C'est un livre qui vous embarque, fiévreusement, dans toutes les fièvres de son auteur. Bref, cela faisait belle lurette que je ne m'étais pas régalée de la sorte !

    Je sais que sur une étagère de L'Autre rive dorment quelques ouvrages de ce brave Henri Calet dont la compagnie me plaît tant. Et comme je retourne à Nancy jeudi prochain, mon petit doigt me dit que les ouvrages en question ne dormiront plus très longtemps. Prêts pour le voyage jusqu'à Metz, les gars ?!