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  • Le garçon sauvage, de Paolo Cognetti

    Au moment où il abandonne sa vie milanaise pour aller passer quelques mois en montagne, Paolo Cognetti est à bout : il vient de passer un sale hiver, il ne parvient plus à écrire, ce qui équivaut à ses yeux à ne pas dormir et à ne pas manger. Il lit avidement les auteurs qui sont partis vivre dans la nature « des expériences de solitude » : Thoreau, John Muir et Élisée Reclus. N'en pouvant plus de sa vie de labeur, il décide de se mettre lui aussi en route, pour de longs mois en pleine montagne. Nous le suivons pour ainsi dire pas à pas. Loin de fanfaronner, il reconnaît ses limites et avoue ses fiascos. Ainsi, à son arrivée dans son petit cabanon de montagne (il emploie le mot italien baita), il se lance dans la culture d'un potager qui va bien vite partir en déconfiture. La solitude tant désirée lui pèse parfois. La nuit, il est aux aguets, le moindre bruit lui fait soupçonner et craindre la visite d'un inconnu agressif. Le voilà en proie à de terribles insomnies, guettant les premières lueurs de l'aube pour échapper à ses terreurs nocturnes. Le garçon sauvage est le récit d'un lent processus d'apprivoisement, d'une volonté de se laver d'un destin esclave, dans lequel l'auteur ne se reconnaît plus. Peu à peu, la compagnie des sommets et du grand air ravive l'inspiration qu'il croyait perdue. Il se remet à écrire et c'est une délivrance, c'est comme le jaillissement d'une cascade en milieu aride. Il se lie d'amitié avec quelques personnes. Leur présence discrète, à quelques encablures de sa baita, le rassure. Il écoute le murmure des ruisseaux, le chant du vent, se perd dans la contemplation des animaux sauvages qui l'entourent : renards, lièvres, chevreuils, chamois. Bref, il retrouve ce que tout homme civilisé risque de perdre s'il n'y prend garde : le lien avec la nature.

    J'ai dévoré ce livre en deux jours. Il faut dire qu'il n'est pas très épais et qu'il prend le lecteur par la main dès les premières lignes. On se laisse entraîner avec confiance. On sait que l'on ne sera pas déçu. Une voix, à n'en pas douter sincère, s'adresse à nous sans fioritures et sans claironner. Elle nous rappelle que même ce que nous avons désiré ardemment ne va pas forcément de soi une fois advenu ! La réalisation de nos souhaits les plus profonds exige de nous que l'on y consacre un certain travail, nous dit Paolo Cognetti, nous enseignant du même coup, par son expérience somme toute pas si ratée, que le jeu en vaut la chandelle.

    Voilà une lecture vivifiante, qui fait du bien en cette presque veille de rentrée. Comme j'aimerais, moi aussi, pouvoir me sauver dans un endroit quasi désert où la folie des agendas et des échéances à tenir ne viendrait pas me rattraper ! Comme il serait jouissif de préparer mon escapade avec le plus grand soin, laissant mystérieusement derrière moi, sur la porte de ma salle de classe, par exemple, ces mots de Cognetti : « Le monde deux mille mètres plus bas semblait appartenir à une autre planète : avec ses voitures qui allaient et venaient, des chantiers à perte de vue, ces villages qui avaient crû outre mesure, une fourmilière industrieuse qui paraissait si absurde vue de là-haut, quand la vie pouvait se résumer à brouter un peu d'herbe et à bronzer au soleil ». Qu'il est bon de rêver à l'impossible !

  • La poupée, de Daphné Du Maurier

    Des couples qui se perdent (mais s'étaient-ils jamais trouvés ? Ou, pour le dire autrement : s'étaient-ils jamais trouvés ailleurs que dans leur imagination et l'illusion grotesque des débuts fanfarons ?), un pasteur qui jouit d'une irrésistible aura, mais dont le cœur est rempli d'ordures, des désirs qui couvent sous la cendre et s'enflamment pour un infime semblant de braise, une île aux contours fantomatiques, sur laquelle il ne se passe jamais rien, sauf une fois, et ce sera la fois de trop : c'est tout cela que la plume de Daphné Du Maurier explore avec une précision d'horloger. Le style est limpide et pur. Par un joli tour de force, il se met, sans avoir l'air d'y toucher, au service des plus froides descriptions ! C'est avec beaucoup d'élégance et de panache que Daphné Du Maurier dépeint la cruauté, la bêtise, la duperie, les échecs, les mauvaises intentions cachées derrière une apparente bonté ! L'humanité semble ne jamais pouvoir trouver grâce à ses yeux. Nous sommes humains, trop humains, cruels, trop cruels, couards, trop couards sous le scalpel acéré de sa plume !

    La poupée est un recueil de nouvelles impitoyables. Le style, endimanché comme pour une fête mondaine, a la fureur d'un galop qui lacère tout sur son passage. À peine a-t-on commencé à admirer la robe des chevaux qu'ils vous foncent dessus !

    Voilà un petit joyau qui aurait pu s'intituler Contes de la cruauté ordinaire !

  • Martin Eden, de Jack London

    Difficile, voire impossible, de lâcher Martin Eden une fois qu'on s'est immergé dans cette lecture ! Et quand on arrive à la fin de ce roman, c'est lui qui ne vous lâche plus. Des scènes vous reviennent en mémoire, une impression vous poursuit, un vague à l'âme, une tristesse... Martin Eden, c'est l'histoire d'un homme issu des bas-fonds qui tente de se hisser plus haut que sa condition. Au moment où le lecteur fait sa connaissance, c'est un peu un ours mal léché, un marin qui a roulé sa bosse en divers endroits du globe. Il sent bruire en lui le besoin d'autre chose. Il est assoiffé de connaissances mais ne sait par où commencer pour se bâtir une culture solide. La rencontre avec Ruth, une jeune bourgeoise rompue aux dîners mondains, étudiante en lettres, va être décisive pour lui. Ruth va le mener vers certains auteurs. Martin tombe éperdument amoureux de cette jeune femme, et le trouble est réciproque. Ruth a bien du mal à se l'avouer dans un premier temps, mais elle finit par succomber au charme de cet homme en qui elle sent de nombreux possibles. Elle va corriger ses défauts de prononciation et de syntaxe. Martin se transforme en élève modèle, soucieux d'apprendre. Mais voilà qu'il se met en tête d'écrire, cela devient une obsession. Ruth ne voit pas cela d'un très bon œil, elle préférerait qu'il se forge ce qui serait à ses yeux (et aux yeux de ses parents !) une véritable situation. Martin s'y refuse, il se voue tout entier à son projet. C'est le phare qui le guide dans la nuit, il ne le perd jamais de vue. Peu à peu, cependant, Martin devient étranger au monde qui l'entoure. Les connaissances qu'il a emmagasinées l'ont certes conduit à lui-même, mais éloigné des autres. Il ne trouve pas réellement sa place parmi les intellectuels qui défilent chez les parents de Ruth. Il ne parvient plus à se sentir à l'aise avec les amis d'autrefois.

     

    Le succès finira par venir, accompagné de sévères désillusions. Une fois la reconnaissance littéraire acquise, Martin devient, comme c'est étrange, une espèce d'idole pour ceux-là mêmes qui autrefois lui fermèrent si souvent leur porte ! On pense à la chanson Les rapaces de Barbara, et l'humanité ne sort pas grandie, loin s'en faut, de ce constat amer...