Un certain monsieur Piekielny, de François-Henri Désérable
À l'origine du livre Un certain M.Piekielny, de François-Henri Désérable, il y a un passage de La promesse de l'aube, la merveilleuse autobiographie quelque peu romancée de Romain Gary ! Quand on se penche sur les innombrables facéties auxquelles cet écrivain eut recours afin de colorer sa réalité, on n'est pas surpris d'apprendre que même dans ce récit autobiographique, il prend ses aises, passant quelques arrangements avec ce qui fut et le transformant si besoin en ce qui aurait pu être ! En ce qui fait mieux dans un livre, tout simplement ! Voilà, c'était Gary, un homme qui pensait que parfois, la pire des choses qui pût arriver à une question, c'était la réponse. Un type loufoque qui se disait que souvent, il était préférable de barrer sur le papier ladite réponse et de la réécrire tout bonnement, avec un peu plus d'imagination et de panache que la vie elle-même.
Lorsque je découvris Gary, il y a un peu plus de vingt ans, je fus embarquée illico dans l'imaginaire flamboyant déployé dans son œuvre ! Ce fut une véritable révélation, au même titre que Thiéfaine quatre ans plus tôt. Très vite, je sus que cet auteur ne me quitterait jamais. Et je ne me trompais pas : aujourd'hui encore, il m'accompagne. Plusieurs portraits de lui ornent les murs de ma maison et des phrases entières de ses livres coulent dans mes veines. « Quelqu'un à aimer, c'est de première nécessité », « Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais », « J'avais tellement besoin d'une étreinte amicale que j'ai failli me pendre », « À quarante-quatre ans, j'en suis encore à rêver de quelque tendresse essentielle ». Tout cela, je le cite de mémoire, c'est comme inscrit dans mon ADN. Si je devais transcrire cela dans le langage cher à mes filles, je dirais : « Gary, c'est la base » ! Comme il me serait assez douloureux de formuler les choses ainsi, je préfère dire que Gary est un des piliers de ma vie !
Cependant, contrairement à François-Henri Désérable, je ne tiquai pas, moi, sur le passage où il est question de monsieur Piekielny. Je dus prendre cela pour argent comptant, La promesse de l'aube ayant été le premier livre de Gary que je lus, en toute innocence, ne sachant pas que son auteur aimait brouiller les pistes, affabuler, amplifier, outrer ! Désérable, lui, fut intrigué par ce nom et décida de mener une enquête. Son livre, magistral (soit dit en passant!), est le résultat de cette enquête. Ses investigations vont le mener sur les pas de Gary et de cet énigmatique monsieur Piekielny, décrit comme une souris triste dans La promesse de l'aube. Je n'en révèle pas davantage, l'enquête doit se suivre page après page, il ne vous reste donc qu'à lire ce roman délicieusement foutraque dans lequel il fait si bon se perdre !
À la fin, demeure un terrible point d'interrogation sur l'ultime geste de Gary. Pourquoi cette balle dans la bouche un soir de décembre 1980 ? François-Henri Désérable avance une hypothèse, et elle est amère, elle signifie l'impuissance de la littérature. Pourtant, à bien y réfléchir, si un livre peut sauver à jamais le nom d'une souris triste, la littérature est plus forte que l'oubli, elle en triomphe superbement. Tout comme l'œuvre de Gary triomphe à jamais de son geste désespéré.