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  • Immortelle randonnée, de Jean-Christophe Rufin

     

    Au moment où Jean-Christophe Rufin s'en va par monts et par vaux pour rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle, il est déjà bardé de divers titres de noblesse : prix Goncourt 2001 pour Rouge Brésil, académicien depuis 2008, écrivain de renom. Il ne part pas dans l'optique de se défaire peu à peu de cette belle importance. Il ne sait pas réellement quel est son objectif. Celui-ci prendra corps en cours de route. Au moment où j'écris ces lignes, me reviennent en mémoire des mots que j'ai souvent entendus en Allemagne : Der Weg entsteht im Gehen, ce qui revient à dire que le chemin naît sous les pas du marcheur, à mesure que celui-ci avance. Je me renseigne un peu et m'aperçois que ce que je prenais pour un adage germanique est en fait un vers tiré d'un poème d'Antonio Machado. Un Espagnol, comme par hasard ! Bref... Tout cela pour dire que Jean-Christophe Rufin verra, lui aussi, le chemin naître sous ses pas. Il ne s'agit pas que d'un parcours au sens propre, bien entendu. Les kilomètres avalés s'accompagnent également d'un cheminement spirituel. Il se fait progressivement et presque à l'insu du voyageur. Au fil des jours, Jean-Christophe Rufin s'abandonne sans complexes aux vertus de la crasse : celle-ci, à mesure qu'elle le recouvre, le dépouille. D'abord très seul, par choix du reste, notre chemineau va ensuite faire de multiples rencontres qui vont le nourrir, l'éclairer sur lui-même ou sur l'humanité en général.

    Très éclairant aussi, le contenu de son sac à dos. Jean-Christophe Rufin comprend qu'il résume à lui seul les craintes, voire les phobies, de son propriétaire. Au fil du temps, le barda s'allège, comme celui qui le porte. Finalement, ce n'est pas tellement la destination qui compte, c'est la manière dont on y parvient, les découvertes que l'on fait en route, et la fine strate de lumière qu'elles déposent sur la mémoire.

    Depuis l'enfance, j'adore les lectures qui me secouent comme des électrochocs et qui laissent des traces indélébiles de leur flamboyant passage dans ma vie. Je ne suis jamais seule puisque mille livres cheminent avec moi. Celui de Jean-Christophe Rufin sera désormais de la joyeuse troupe qui m'accompagne !

    Il y a quelques années, j'avais lu un autre témoignage sur Saint-Jacques-de-Compostelle : Ich bin dann mal weg, de Hape Kerkeling. L'auteur disait en préambule de son récit que le Chemin ne posait à chacun qu'une seule et même question : « Qui es-tu ? ». Si l'on en croit Jean-Christophe Rufin, la réponse vient à point à qui sait ne pas l'attendre !

     

     

    P.S. : Je vous prie de bien vouloir excuser le style confus de ce billet. Je viens de l'écrire avec le ronron d'une tronçonneuse dans les oreilles !!

  • Douglas Kennedy ou de la difficulté d'être (heureux, soi-même, équilibré, tout ça !!)

     

    Murmurer à l'oreille des femmes : le titre sonne comme une promesse sucrée. Mais qu'on n'aille pas s'imaginer que nous voilà partis pour une douce musiquette qui viendrait tendrement se déposer dans notre conduit auditif, mélodie du bonheur, et tutti quanti ! D'ailleurs, en anglais, le livre s'appelle Do you know what your problem is and other stories. Et il s'agit bien de problèmes ici, et même en pagaille ! On pourrait presque retourner le titre de la façon suivante : Do you know what your story is and other problems ! Voici douze histoires un peu déjantées, voici des êtres qui marchent à côté de leurs pompes, parfois à côté de leur véritable identité. Car, souvent, les personnages de Douglas Kennedy sont un peu, beaucoup paumés. Ce sont des antihéros jusqu'à la moelle. En général, ils n'ont pas réglé une histoire d'amour qui remonte à un certain nombre d'années. Ou bien ils sont enfermés dans un piège qu'ils ont tout bonnement appelé à eux, en prenant soin de construire eux-mêmes la cage dont ils ne parviendront que difficilement à scier les barreaux : relation bancale, lien dont ils n'arrivent pas à se défaire, avec une épouse tyrannique, colérique, hystérique. Parfois aussi, ils cumulent les deux enfers : l'histoire d'amour passée qui vient déborder sur le présent et l'enfermement dans quelque chose qui ne leur convient absolument pas ! Ils n'ont la plupart du temps pas de mots assez cruels à leur propre endroit : ils se disent minables, ratés, lâches. Et c'est en cela qu'ils sont infiniment attachants. Ils sont tellement proches de nous et de nos failles !

    J'ai découvert Douglas Kennedy grâce à Toutes ces grandes questions sans réponse. Dans ce livre, l'écrivain revient sur sa vie familiale, son parcours professionnel et ses choix. Une des innombrables questions auxquelles il ne trouve pas de réponse est celle-ci : pourquoi, de deux maux, choisissons-nous souvent le pire, malgré les beaux proverbes dont nous sommes pétris depuis l'enfance ? La même interrogation revient sous sa plume dans Murmurer à l'oreille des femmes. Je cite : « Car enfin, ne nous arrive-t-il pas trop souvent de nous écarter du chemin de la félicité pour emprunter ceux qui finiront par nous faire du mal ? » Douglas Kennedy n'a pas de réponse. Il ne cherche pas forcément à en trouver une, d'ailleurs. Il ne juge pas, il constate. C'est pourquoi la lecture de ses livres nous fait du bien !

     

  • Leben - En vie, un livre de David Wagner

    Leben, tel est le magnifique titre du dernier livre de David Wagner, un auteur allemand que j'ai découvert au Salon Littérature et Journalisme à Metz !! Ce n'est pas tout à fait un récit autobiographique, mais le vécu du narrateur n'est pas très éloigné de celui de David Wagner. Les premières pages font un zoom sur la situation de cet homme quadragénaire et malade : son foie est totalement fichu, c'est comme ça depuis l'adolescence. Une malchance génétique. Les choses s'accélèrent soudain la quarantaine venue : le narrateur vomit du sang et doit impérativement subir une greffe, sans quoi c'est la mort assurée. Dans un premier temps, en l'absence de cette greffe, il est hospitalisé, trituré, manipulé, plongé dans des scanners qui lui font l'effet d'entrer dans un four où on va le dorer à point. Le voilà privé de toute autonomie et livré aux mains des infirmières, suspendu aux bilans des médecins.

    Un jour, un appel le prévient : on a un donneur. La greffe se passe bien. Le narrateur reste longuement à l'hôpital. L'occasion, pour lui, de songer à son passé. Des absents le visitent. Des morts, des perdus de vue, des amours envolées. Des vivants aussi, qui l'ancrent dans la vie et dans l'envie de la poursuivre. Sa fille, notamment. Et d'autres membres de sa famille. Il se bat uniquement pour eux et pour le sourire de cette gamine qui accueille avec un entrain communicatif l'orée de chaque jour. Il baisserait bien les bras parfois. Une nuit, il se réveille la joie au cœur puis, quelques heures plus tard, c'est la déréliction. Variations de température, variations de moral. Un condensé de la vie, mais en plus ébouriffé, en plus barge parce que traversé par des hallucinations, des fatigues extrêmes, une usure aussi, parfois. En allemand comme en français, le livre porte bien son nom (le titre a été traduit par En vie en français).

    David Wagner décrit ici des états que l'on a tous connus, tantôt le mal de vivre, tantôt la plénitude face à ce que le monde offre de meilleur : dans un arbre, le souffle du vent qui imite le ressac, dans un parc, un merle qui siffle. Au lever, un enfant qui rit aux éclats au-dessus de son bol de chocolat au lait.
    Que cela fait du bien de lire tout cela ! La plume de David Wagner est fluide et aérienne, son style limpide. Vraiment un beau moment de lecture, et l'on se dit que l'on n'est pas seul face à son putain de désespoir puisqu'un autre l'a vécu, en a exploré tous les coins et les recoins, pour aboutir à cette conclusion chantante : vivre n'est pas toujours facile, mais être en vie est merveilleux !