Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi, Mathias Malzieu
A quoi les morts occupent-ils toutes leurs saintes journées ? Est-il vrai qu’il se transforment en avaleurs de brumes, qu’ils ne se nourrissent plus que de vent et de brouillard ? Est-il vrai qu’ils continuent à vaquer aux occupations qui leur étaient chères ici-bas ? Que celui qui fut un véritable cordon bleu en cette vie se met à cuisiner avec les ingrédients dont il dispose désormais, les cumulonimbus et leurs frères ?
Mathias Malzieu évoque ces éventualités dans Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi, le livre qu’il écrivit peu après la mort de sa mère. Quel contrepoids trouver à l’horreur et à l’hébètement qui est le nôtre lorsque nous perdons un être cher ? Comment combler le grand vide qui nous fait un trou dans le corps et menace de nous engloutir, quand tout rappelle la morsure de l’absence ? Mathias Malzieu appelle cela le « début des caresses coupantes, celles qui se plantent dans les vieux souvenirs ». Au lendemain de la mort de sa mère, il n’est pas certain de savoir encore faire sortir des notes de musique de son corps. Pas certain non plus de pouvoir se traîner jusqu’à la prochaine aurore. Tout lui semble insurmontable. Et pourtant, petit à petit, et parce qu’il n’a pas le choix, il se reconstruit. Sans le secours d’une pulsion de vie mêlée de poésie flamboyante et de fantastique halluciné, qui sait s’il ne se serait pas lui aussi laissé glisser dans le royaume des morts ?
J’aime le regard que Malzieu pose sur les choses. C’est un regard qui embrasse le monde tout autant qu’il l’embrase. Il est fait de petites brindilles de folie qui voltigent joyeusement dans les airs. Que nous dit Malzieu à l’heure du deuil et de la détresse ? Que, certes, les absents nous causent toujours tort, mais qu’il faut malgré tout continuer à donner un assentiment total à la vie. Oui, « les jours passent, la nuit reste ». Mais il ne tient qu’à nous de voir dans les stratus et les stratocumulus les blancs d’œuf montés en neige par quelque cuisinière qui nous aima.
J’ai lu ce livre en quelques heures vendredi. Comme il faisait beau, je m’étais installée sur le balcon devenu printanier. Je ne connais pas de plus bel endroit pour lire, à part peut-être une plage bretonne ou une forêt allemande ! Bien sûr, en lisant les mots de Mathias Malzieu, je pensais beaucoup à ma mère. A un moment, j’ai levé les yeux vers le ciel pour y contempler la pureté de l’azur, et j’ai aperçu un beau nuage en forme de cœur. J’aurais pu n’y voir qu’un simple hasard, j’ai choisi d’y voir une marque de tendresse venue tout droit du royaume des morts où ma mère continue, à n’en pas douter, à cultiver son jardin et ses fleurs…