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Le serre-livres

  • Et toute la vie devant nous, le dernier roman d'Olivier Adam

    La faute à Olivier Adam si hier, au lieu de faire des cartons en vue de mon déménagement imminent, j'ai lu.

    La faute à Olivier Adam si je me suis couchée tard hier soir. Au lieu de dormir à une heure raisonnable, j'ai lu.

    La faute à Olivier Adam si je me suis levée tôt ce matin. J'avais envie de lire.

    Enfin, la faute à son dernier livre, plutôt : Et toute la vie devant nous. Déjà, avec un titre comme ça, j'aurais dû savoir. Le côté Romain Gary, n'est-ce pas ?

     

    Et toute la vie devant nous est un roman qu'il est difficile de résumer. Il s'agit d'en dire suffisamment pour bien planter le décor, mais pas trop non plus pour ne rien déflorer. C'est la tâche qui incombe à toute personne qui tente de parler d'un livre ou d'un film, me direz-vous. Oui, mais là, encore plus. Car tous les événements narrés ici sont imbriqués les uns dans les autres. De celui-ci découle celui-là.

    Paul, Sarah et Alex se rencontrent dans l'enfance. Ils habitent dans la même rue. De sa chambre, Sarah peut voir tout ce qui se passe dans la maison de Paul, et inversement. Entre ces trois-là naît une amitié que les années vont renforcer tout en la complexifiant. Peut-être parce que les trios amicaux, ça finit toujours par donner un truc bancal. Peut-être aussi parce que, comme l'a si bien chanté le regretté Henri Tachan, « entre l'amour et l'amitié il n'y a qu'un lit de différence ». Et qui dit amour dit parfois ravages et compagnie...

    Le temps passe, et les voilà adolescents. Encore quelques séries de 365 ou 366 jours qui s'empilent, et les voilà étudiants. Puis adultes. Chacun construit sa vie, jamais bien loin des deux autres. Chacun se construit comme il peut, essayant (là encore, comme il peut) de s'extraire des traumatismes qu'il a endurés. L'un d'eux, qui touchera en particulier Alex, mais aura des répercussions sur les deux autres, traverse tout le livre. Un autre, qui frappera Sarah, mais aura des retombées sur les deux autres, idem.

     

    Et toute la vie devant nous raconte avec force et brio comment l'existence et ses cahots (ou chaos, choisissez le mot qui vous plaira, c'est à votre bon cœur, messieurs dames, et ça revient au même) nous façonnent, voire nous broient. Cela parle d'occasions manquées, de chemins qu'on aurait pu, voire dû prendre, et qu'on n'a pas pris. De chemins qu'on aurait aimé prendre, et que la vie n'a pas mis sous nos pas, pour d'impénétrables raisons qui n'appartiennent qu'à elle (ou aux voies du Seigneur, allez savoir). Cela parle de ces bilans qui s'imposent à nous lorsqu'une large partie de notre vie se contemple désormais en reflet dans le rétroviseur. Bref, voilà une lecture qui ébranle pas mal son homme (ou sa femme, en l'occurrence). Moi, personnellement : même pas peur. Je serais plutôt du genre à réclamer ce genre de bouquins. Parce que quand on les referme, on n'est plus tout à fait celui ou celle qu'on était avant de les ouvrir ! N'est-ce pas ça, la mission première de l'art en général ? Nous secouer, et tant pis s'il en sort quelques larmes !

  • Ce qu'on devient, un roman d'Anne-Sophie Brasme

    Dans Ce qu'on devient, d'Anne-Sophie Brasme, la narratrice s'appelle Sophie B. Elle a écrit un premier roman à seize ans, et ce fut un succès. Ce qui rappelle étrangement l'histoire d'Anne-Sophie Brasme, qui se fit connaître à dix-sept ans avec Respire.

    Les ressemblances entre la narratrice et l'autrice ne s'arrêtent sans doute pas à ce seul fait, mais là n'est pas la question. La question ou plutôt les questions que pose ce livre se résument à son titre : Ce qu'on devient. Le récit commence par une lettre que la narratrice, alors âgée de seize ans, écrit à son moi futur. À celle qu'elle sera devenue dans vingt ans. Elle se souhaite une vie équilibrée, où l'écriture occuperait une grande place, mais pas toute la place. Elle pressent que rien ne se passera comme elle l'a rêvé.

    Et le roman se charge de nous dévoiler ce qu'est devenue cette jeune fille de seize ans. On la voit évoluer dans ses amitiés d'adolescente, dans ses amours, dans ses études. Plus tard, on apprend ce qu'il sera advenu des belles amitiés. On découvre la narratrice sous la coupe d'un homme qu'elle aime éperdument depuis longtemps. Il l'a accueillie dans son appartement, où ils vont vivre pendant plusieurs années. Il ne lui fera que peu de place entre ses murs. Elle qui aimerait avoir une chambre à soi, comme le préconisait déjà Virginia Woolf en son temps, elle n'a ici aucun endroit qui soit réellement à elle. Or, l'écriture requiert ces lieux où l'on puisse se retirer loin du monde. Sophie voit son univers se rétrécir. L'homme avec qui elle vit l'humilie régulièrement. S'il admirait la femme qui semblait se destiner à une carrière littéraire, il ne peut cacher le mépris que lui inspire celle qui décide de devenir enseignante et passe le Capes de lettres. Cette relation d'où la toxicité n'est pas absente ne peut mener nulle part. Sophie mettra du temps à s'en rendre compte, mais une fois que la prise de conscience aura eu lieu, plus rien ne pourra la détourner de son projet : se retrouver.

     

    J'ai aimé ce roman et l'ai lu en quelques jours, frénétiquement. Il m'a fait penser à ces chansons de Souchon où il est question des rêves d'enfant que notre réalité d'adulte a passés sous un rouleau compresseur. Je pense au Bagad de Lann-Bihoué ou encore au Marin.

    Mais la vie doit-elle nécessairement être grandiose pour donner pleine satisfaction à qui la vit ? La course au bonheur ou au succès n'est-elle pas vaine ? Et si, finalement, un quotidien banal valait autant, sinon plus, qu'un destin grandiloquent ? Interrogations à méditer tranquillement en ce dimanche de juillet, sur la plage ou ailleurs ! Enfin, à méditer si l'on veut... On peut tout aussi bien ne pas se poser ces questions ou alors se les poser en choisissant de ne pas y répondre ! Tout est possible, voyons, qu'on ait seize ans ou pas !

  • Chroniques de l'asphalte (3/5), de Samuel Benchetrit

    Si vous m'offrez un livre en cette année 2025, il n'est pas impossible que je ne le lise qu'en 2040 (supposons avec espérance que je sois toujours de ce monde en 2040 car j'ai pas fini ce que j'ai commencé, et ça, la maladie me l'a bien rappelé !). Je ne dis pas ça pour vous décourager, au contraire. Je vous dis ça pour que vous en concluiez qu'en fait, il ne faut jamais désespérer.

    Ainsi, quelqu'un (ou plutôt quelqu'une) m'avait offert, en 2010, Chroniques de l'asphalte (3/5), de Samuel Benchetrit. Ce bouquin a, depuis, vécu quelques déménagements. Sans s'en trouver nullement esquinté (j'adore ce mot qui restera à jamais lié à mon père, qui l'employait à tout bout de champ, déclenchant systématiquement un fou rire chez mes filles, notamment quand il disait à l'une d'elles : « Ne te mets pas si près de la télé pour la regarder, tu vas t'esquinter les yeux »). On peut dire que ce livre fait partie de mes compagnons de route. Et qu'il attendait son heure pour me révéler ses mystères.

    Son heure est arrivée il y a quelques jours. Et j'ai lu avec un immense plaisir ces chroniques qui sont tour à tour nostalgiques, philosophiques, humoristiques. Quand elles ne sont pas tout cela à la fois, ce qui est un réel tour de force !

    Dans ses chroniques, Samuel Benchetrit nous raconte les aventures de sa bande (Karim, Dédé, Daniel) et de lui-même. Enfin, on peut penser qu'il s'agit d'histoires vraies, même si elles sont surprenantes. Mais n'oublions jamais que la vie a plus d'imagination que les écrivains et que, par conséquent, toute ressemblance avec des faits réels pourrait bien ne pas être pure coïncidence.

    Il y a ce jeune homme, Tony, dit Toutoune, amoureux d'une fille avec qui il prend régulièrement le bus. Un jour, elle lui demande comment il s'appelle. Et lui de répondre, machinalement : « Toutoune ». Aveu qu'il regrettera amèrement par la suite. Dès lors, la fille change d'attitude à son égard. Les copains de Tony lui disent que c'est parce qu'il a eu la mauvaise idée de donner son surnom plutôt que son prénom. Je n'en dis pas plus. La suite est savoureuse. Lisez-la, tiens !

    Il y a cette femme qui se lance sciemment dans un mariage blanc avec un homme qui lui explique d'entrée de jeu qu'il n'envisage rien de sérieux avec elle, juste l'obtention de précieux papiers qui lui permettront de s'installer en France. Et la femme de s'entêter. Parce qu'elle veut à tout prix pouvoir dire un jour « Je suis une femme mariée »...

    Il y a cette panne d'ascenseur qui coince Franky et une fille sublime dans le même espace restreint pendant quelques heures. On ne saura jamais ce qu'il advint entre les deux durant la panne. Franky a peut-être un peu extrapolé rien que pour épater et narguer ses copains.

    Il y a cette boum où le narrateur se rend avec sa bande et où ils ne se sentent pas vraiment à l'aise. Et l'exquise plume de Samuel Benchetrit de comparer leurs tronches respectives à celles de « délinquants dans un commisssariat » !

    Il y a tout cela et plus encore. Il y a surtout des anecdotes venues tout droit de l'adolescence et qui ont rappelé des tas de trucs à la lectrice que je suis car, étant moi-même née en 1973, comme Benchetrit, je dansai pareillement sur Life is life ou encore Every breath you take. Nous sommes tous deux d'une époque où l'arrivée des slows sur la piste de danse vous mettait tous les sens en émoi, n'est-ce pas ?!

    Il y a aussi le style de Samuel Benchetrit, qui donne une couleur et un rythme absolument uniques à ces petites histoires qui, mises bout à bout, créent une fresque où s'étale délicieusement un monde qui n'est plus...