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  • Elsa mon amour, un roman de Simonetta Greggio

    Simonetta Greggio, Elsa Morante : la seule évocation de ces deux noms fait déjà voyager. Ils vous transportent dans cette Italie qui fleure bon les citronniers, la lavande, le café ristretto et que sais-je encore ! On dit Simonetta Greggio, et l'on voit du linge traverser une rue, d'une façade à l'autre, tremblant dans les airs comme un feu d'artifice. Quelque chose de l'Italie éternelle ressuscite en nous, des images, des trésors, des réconforts.

    Elsa Morante, Simonetta Greggio : leurs plumes et leurs voix s'entremêlent et se confondent dans un roman qui a tout d'une déclaration d'amour. D'où le titre, sans doute : Elsa mon amour. Si l'on en croit Simonetta Greggio, Elsa Morante écrivait pour réparer ce qu'elle pouvait de la vie. Ainsi reprisait-elle les scénarios trop contrariants (et Dieu sait si son existence en connut !), ainsi raccommodait-elle certaines fêlures pour, si possible, s'en accommoder. Ainsi se réconciliait-elle avec certains deuils trop lourds à porter.

    On croise dans ce livre des amours un peu folles, parfois sombres, souvent cruelles. On imagine le ronronnement paisible de certains chats qui furent les compagnons d'Elsa Morante, on croit presque, au fil des pages, apprivoiser pour soi Neve, la chienne insouciante. On croise des noms connus, Cesare Pavese, Luchino Visconti, Pier Paolo Pasolini, Alberto Moravia.

    Il pleut beaucoup dans ce roman. Et la pluie n'est jamais la même. Parfois, c'est « plus un brouillard suspendu qu'une vraie pluie ». Parfois, ce sont des « milliers d'aiguilles transparentes ». Ailleurs, c'est un simple murmure. Chaque averse semble amener une atmosphère qui lui est propre et qui, sur le plan littéraire, confère une certaine tonalité au chapitre sur lequel elle ouvre.

    Sa vie durant, Elsa Morante fut une grande amoureuse. Souvent déçue, se cognant le cœur à de nombreuses mésaventures. Cependant, le grand amour qui lui vint dès l'enfance, à savoir l'écriture, celui-là demeura pur, indemne jusqu'au dernier souffle.

    Simonetta Greggio réussit plusieurs tours de force dans ce livre délicat : on le lit comme un assoiffé, avec l'envie d'en savoir plus (mais qui était donc Umberto Saba, mais qui sont les membres de la famille Agnelli ?). Surtout, on referme ce roman avec la certitude que bientôt, si ce n'est déjà fait, on lira Elsa Morante !

  • L'ordre du jour

    Je ne suis pas de ceux qui, bien sûr, chaque année, s'offrent le prix Goncourt, comme dans la chanson de Renaud. Pour toutes mes lectures, j'y vais à l'instinct : si le thème et le style m'inspirent, je fonce sans me poser de questions, Goncourt ou pas. Et j'achète, la plupart du temps, ce qui n'est pas fait pour désencombrer la maison dans laquelle je vis et où chaque pièce a fini par réclamer sa montagne (magique !) de livres. Cela crée partout des horizons arrosés d'une douce lumière. Bref, j'en reviens au Goncourt : je ne le lis pas chaque année, loin s'en faut. Mais le dernier (L'ordre du jour, d'Éric Vuillard) me titillait depuis un petit bout de temps. Plusieurs amis m'en avaient dit du bien. Le sujet (les prémices de la Seconde Guerre mondiale) m'intéressait. Le style, je ne le connaissais pas, mais il me fut livré sur un plateau dès les premières lignes, magistrales, comme tout l'ensemble de cet incroyable édifice dont chaque pierre semble être la pièce maîtresse. C'est à la fois concis et précis. Percutant, toujours. Et teinté d'une subtile ironie.

    Comment se fait l'Histoire ? Par quels coups de boutoir ou de pouce, par quels coups bas devient-elle ce qu'elle est appelée à être ? Il y a là quelque chose de vertigineux, qui échappe souvent à la raison. Éric Vuillard expose ces sombres moments où tout bascula dans l'effroi : la montée du nazisme, favorisée par l'appui financier de quelques grands industriels, l'entrée des troupes hitlériennes en Autriche, le déchirement du monde. Dès les premières pages, on est pris dans un tourbillon, comme l'Histoire le fut elle-même en cette période ô combien obscure... Ces 150 pages nous tirent d'emblée par la manche, on ne peut plus les lâcher, partagé que l'on est entre saisissement et incompréhension. On songe, infiniment triste, à ce que deviendra le monde une fois livré aux assauts de quelques fous furieux. On ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il serait devenu si ces mêmes assauts s'étaient heurtés à plus forts qu'eux. Ce ne fut pas le cas, comme on le sait, et l'Histoire apparaît alors comme un jeu de dupes, une farce, une absurdité.

    Les faits ne sont jamais exposés froidement sous la plume d'Éric Vuillard. On sent qu'il « mouille la chemise », implique son âme, se révolte. Avoir pu faire tenir tant de densité en 150 pages, voilà qui relève d'un sacré tour de force. Cela n'est donné qu'aux grands, ceux qui, en plus de maîtriser leur sujet, le soumettent à une analyse qui n'appartient qu'à eux.

  • Chère mademoiselle, un roman d'Antoine Godbille

    Il y a mille et une façons de déclarer sa flamme. Certaines sont moins conventionnelles que d'autres. Et puis, il y a celles qui, carrément, déchirent ! Elles fendent le plafond des convenances pour aller flirter avec les étoiles. Ainsi en va-t-il de celle qu'a choisie Antoine Godbille. Dans un livre de 158 pages, il adresse une lettre à plusieurs personnes : une demoiselle, un monsieur et une dame. On apprendra au fil du récit de qui il s'agit. Récit de soi, sans fard, voilà ce qui porte chaque ligne de Chère mademoiselle. Il est question de quais de gare, de drogues, de « souvenirs de baisers volés, de cercles vicieux infernaux » (j'emploie à dessein une formule de Thiéfaine puisque l'auteur de ce livre est aussi un fin connaisseur de l'œuvre du poète jurassien aux accents rimbaldiens, baudelairiens, verlainiens, mais surtout thiéfainiens !). Le début de ces pages ne nous dit pas où l'histoire compte nous emmener, on sait seulement qu'à la toute fin apparaîtra, pour la demoiselle, le monsieur et la dame, une question bien précise à laquelle il conviendra de livrer réponse.

    Je ne peux en dire plus au sujet de la substance même du récit. J'en dévoilerais trop, et là n'est pas le propos. Le but, c'est que vous, lecteurs de ce blog, alliez vers Chère mademoiselle, sans trop savoir ce qui vous attend ! En résumé : la découverte d'une vie qui ne se borne pas à ce qu'elle est, mais qui déborde des coutures pour mieux se raconter. Ce récit nous permet de rencontrer un être, et qui sait si ce n'est pas à soi-même que l'on finira par arriver au terme de cette course haletante ! Car cette déclaration-confession a parfois des allures de marathon (de cela, il sera question aussi) ! « Toujours plus loin, à fond la caisse », comme chante le poète jurassien aux accents rimbaldiens, etc. On pourra s'interroger sur son propre Top 1000, après avoir découvert celui de l'auteur de la lettre (faut-il le distinguer d'Antoine Godbille, se confond-il avec lui, n'en est-il qu'une part, et laquelle ? Tout cela est à la libre appréciation du lecteur !) Le Top 1000 se compose de toutes ces chansons qui, pour une raison X ou Y, nous constituent, résonnant profondément dans notre petit panthéon personnel jusqu'à faire de nous celui ou celle que nous sommes. À chacun de voir où en est sa propre liste de (p)références !

    On trouvera ici de belles réflexions sur le don de soi, la famille, et ces séparations qui sont des arrachements. C'est un récit sans artifices, comme je le disais plus haut, c'est taillé dans le granit, mais de celui que l'on trouve sur une certaine côte bretonne : rose...