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L'ordre du jour

Je ne suis pas de ceux qui, bien sûr, chaque année, s'offrent le prix Goncourt, comme dans la chanson de Renaud. Pour toutes mes lectures, j'y vais à l'instinct : si le thème et le style m'inspirent, je fonce sans me poser de questions, Goncourt ou pas. Et j'achète, la plupart du temps, ce qui n'est pas fait pour désencombrer la maison dans laquelle je vis et où chaque pièce a fini par réclamer sa montagne (magique !) de livres. Cela crée partout des horizons arrosés d'une douce lumière. Bref, j'en reviens au Goncourt : je ne le lis pas chaque année, loin s'en faut. Mais le dernier (L'ordre du jour, d'Éric Vuillard) me titillait depuis un petit bout de temps. Plusieurs amis m'en avaient dit du bien. Le sujet (les prémices de la Seconde Guerre mondiale) m'intéressait. Le style, je ne le connaissais pas, mais il me fut livré sur un plateau dès les premières lignes, magistrales, comme tout l'ensemble de cet incroyable édifice dont chaque pierre semble être la pièce maîtresse. C'est à la fois concis et précis. Percutant, toujours. Et teinté d'une subtile ironie.

Comment se fait l'Histoire ? Par quels coups de boutoir ou de pouce, par quels coups bas devient-elle ce qu'elle est appelée à être ? Il y a là quelque chose de vertigineux, qui échappe souvent à la raison. Éric Vuillard expose ces sombres moments où tout bascula dans l'effroi : la montée du nazisme, favorisée par l'appui financier de quelques grands industriels, l'entrée des troupes hitlériennes en Autriche, le déchirement du monde. Dès les premières pages, on est pris dans un tourbillon, comme l'Histoire le fut elle-même en cette période ô combien obscure... Ces 150 pages nous tirent d'emblée par la manche, on ne peut plus les lâcher, partagé que l'on est entre saisissement et incompréhension. On songe, infiniment triste, à ce que deviendra le monde une fois livré aux assauts de quelques fous furieux. On ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il serait devenu si ces mêmes assauts s'étaient heurtés à plus forts qu'eux. Ce ne fut pas le cas, comme on le sait, et l'Histoire apparaît alors comme un jeu de dupes, une farce, une absurdité.

Les faits ne sont jamais exposés froidement sous la plume d'Éric Vuillard. On sent qu'il « mouille la chemise », implique son âme, se révolte. Avoir pu faire tenir tant de densité en 150 pages, voilà qui relève d'un sacré tour de force. Cela n'est donné qu'aux grands, ceux qui, en plus de maîtriser leur sujet, le soumettent à une analyse qui n'appartient qu'à eux.

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