Pirotte, Le pays du hasard, un livre d'Emmanuel Rimbert
C'est une belle journée, à la fois de givre et de soleil. Le bleu du ciel est tellement pur qu'on le croirait échappé d'une subtile lessive. Dehors, des oiseaux s'égosillent de joie, tant le printemps leur semble à portée d'aile. Quant à moi, je viens de finir un livre d'Emmanuel Rimbert, consacré à Jean-Claude Pirotte, ce poète « prince des nuées », né de brumes belges. Un drôle de bonhomme, en somme : des études de droit qui le conduiront pour un peu plus d'une décennie au barreau de Namur. Puis il y aura cette sombre histoire dont on ne saura jamais si elle fut vraie ou inventée de toutes pièces sans conviction : en 1975, on accuse Pirotte d'avoir favorisé la tentative d'évasion d'un de ses clients. À partir de là, il mène une vie légèrement vagabonde, vaguement clandestine, en France. Partout où il passe (et il passe surtout de bistrot en café !), il trimbale ses rêves, ses cibiches et ses incontournables carnets qu'il noircit à longueur de journée. C'est au milieu de ces pages folles que se tiennent (de guingois, comme il se doit avec Pirotte) ses somptueux poèmes qui exhalent à la fois mélancolie et douceur. Poisons et remèdes.
Emmanuel Rimbert consacre donc un ouvrage à Jean-Claude Pirotte. Cela s'appelle Pirotte, Le pays du hasard. Ce n'est pas, à proprement parler, une biographie. Plutôt un alignement de menus détails : on trouvera ici mention des estaminets qu'aimait le poète, quelques anecdotes, des noms de rues ou de personnes, le tout fourré dans la même besace. Aucune chronologie, mais bien plutôt un fouillis qui n'est pas pour me déplaire. Preuve que la vie de Pirotte échappe à toute chronologie et à toute logique. Lui-même, dans ses récits autobiographiques, demeura évasif et un tantinet bordélique. N'oubliant jamais, cependant (car, comme a toujours dit mon père, il faut avoir de l'ordre dans le bordel, voilà tout l'art de l'organisation !), de célébrer la dive bouteille et les lectures roboratives. Dhôtel, Perros, Pessoa, Thiry, Laforgue et quelques autres : autant de lueurs étincelantes dans la vénéneuse pluie de Rethel.
Il ne faut pas oublier Pirotte, qui passa, léger comme le vent qui lui collait aux semelles, en ce bas monde. Poète des intempéries, la barbe en bataille comme le fut sa vie, il doit demeurer en nos mémoires. Je lui dois pour ma part de jolies pâmoisons, et je ne manquerai pas de lui rendre régulièrement hommage ici.