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Christoph Ransmayr, une rencontre...

Christoph Ransmayr était l'un des invités du Livre sur la Place il y a quinze jours. Au cours d'un entretien passionnant avec Olivier Rolin, il nous a fait le don, dans un allemand d'une puissante beauté, de ses réflexions sur la vie, le temps et son amour des mots. Je buvais ses paroles ... et du petit-lait ! J'adore que les écrivains se livrent à des commentaires sur la langue, sujet qui me passionne moi aussi ! Christoph Ransmayr a expliqué que jamais personne ne s'était noyé dans le mot « mer », qu'aucun bateau n'y avait jamais fait naufrage, et que pourtant, le terme contenait en lui toutes les noyades et tous les naufrages... Il a également dit qu'il aimait se retrouver dans un pays dont il ne maîtrise pas la langue, que cet état le fait redevenir enfant, l'obligeant à demander régulièrement autour de lui : « Comment appelez-vous ceci ? Comment nommez-vous cela ? ». Toutes ces observations m'ont ramenée à mon propre rapport avec les mots et à l'émerveillement enfantin qui est le mien lorsque je découvre un nouveau terme allemand ou italien. De ces nouvelles sonorités, de cette graphie jusqu'alors inconnue de moi, je m'enrichis et m'enivre, c'est comme si le monde m'ouvrait davantage ses bras.

Bref, là n'est pas le propos. À la fin du débat, je suis allée trouver Christoph Ransmayr pour lui acheter son dernier livre, Cox oder der Lauf der Zeit. Au passage, je lui ai dit qu'à ma grande honte je devais avouer que je n'avais lu aucun de ses livres. Loin de s'offusquer de mon inculture, il m'a répondu : « Mais pourquoi avoir honte ? Je ne suis pas le seul écrivain au monde ! Et, de toute façon, on ne peut pas tout lire ». Je venais d'obtenir confirmation de tout ce qu'il m'avait semblé deviner durant l'entretien entre Rolin et Ransmayr : l'écrivain autrichien est d'une grande sensibilité, il est par nature attentif à ceux qui l'entourent et le succès ne lui a pas donné le vertige. C'est avec beaucoup de tendresse dans la voix qu'il a évoqué son épouse disparue il y a dix ans, c'est avec beaucoup de tendresse dans le regard qu'il a écouté un monsieur lui parler d'un deuil récent.

Et l'on ne sera pas étonné, en lisant Cox oder der Lauf der Zeit (en français : Cox ou la course du temps), d'y retrouver, entre autres, le thème du deuil et du temps qui passe. Cox, horloger célèbre dans le monde entier, est appelé à la cour de l'empereur Qianlong. Cox a perdu sa fille, qu'il adorait. Sa femme, rongée par le chagrin, s'est, depuis, murée dans le silence. Cox accepte l'offre de l'empereur et rejoint la cité interdite. Sa mission ? Fabriquer des horloges qui soient capables de rendre compte des différentes vitesses du temps, celui-ci ne passant pas de la même façon pour un enfant, un amoureux transi ou un condamné à mort. Cox va se lancer à corps perdu dans cette aventure. Il y mettra toute son énergie, mais aussi toute sa douleur, croyant parfois retrouver, dans son œuvre, l'âme de sa fille.

Ce roman soulève de nombreuses questions : comment continuer à faire vivre nos disparus ? Comment appréhender le temps dans toute sa complexité et ses différentes vitesses : grand V quand nous sommes amoureux ou souhaitons retarder la venue d'un événement que nous redoutons, lenteur de l'enfance, etc. ? Qu'est-ce qui différencie le commun des mortels des puissants de ce monde ? La réponse est simple : rien, absolument rien ! Face aux grandes interrogations, nous sommes tous identiques, fragiles, minuscules.

Le tout posé sur un doux écrin : la langue de Ransmayr est brûlante de poésie. À chaque page ou presque, des descriptions de paysage nous transportent. De la rosée perle sur la course du monde ou bien une neige immaculée lui rend son innocence, un ruisseau murmure à l'oreille d'un pré.

Un roman magistral !

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