Pas dormir, de Marie Darrieussecq
Bienheureux ceux que le sommeil, chaque soir, terrasse délicieusement, avec la régularité d'un métronome. Bienheureux ceux qui s'emmitouflent sans se poser de questions dans les brumes bienfaisantes où les conduit Morphée ! Ils ignorent tout de l'acuité des angoisses nocturnes, qui vous mettent bien plus savamment à la torture que celles qui vous visitent le jour ! Les insomniaques, eux, goûtent chaque nuit le désespoir en ses moindres contours. C'est ce que dit Marie Darrieussecq dans un ouvrage qui vient de paraître : Pas dormir. Le sujet ? Les insomnies de l'auteure ! Cette dernière était hier en conversation avec la journaliste Frédérique Roussel, dans le cadre du Livre sur la Place (le salon qui se tient tous les ans en septembre à Nancy).
Il faut être ou avoir été insomniaque, me semble-t-il, pour saisir la détresse d'une personne qui dort si mal qu'elle a décidé de consacrer un livre à ce tourment. Selon Marie Darrieussecq, l'insomnie a quelque chose à voir avec la peur de la mort et la déréliction métaphysique. C'est aussi une impossibilité à s'abandonner pleinement, comme si dormir vous mettait en situation de danger et vous empêchait de garder le contrôle sur la vie. Je connais cela sur le bout des doigts !
Il y a, dans l'incapacité de dormir, une tragédie indépassable : on ne se quitte jamais (je reprends les mots de l'auteure). Et trop frayer avec soi-même frise l'intolérable ! En écoutant Marie Darrieussecq, hier, je pensais à 113ème cigarette sans dormir, de Thiéfaine, et à toutes les fois où le titre de cette chanson est venu hanter mes nuits sans sommeil. Il y eut même une époque où ne pas dormir me rendait tellement dingue que je fumais clope sur clope dans mon lit ennemi. Jusqu'au jour où, ayant cessé de fumer, je m'amusai à changer le titre de la chanson en 113ème insomnie sans cigarette ! En écoutant Marie Darrieussecq, hier, je pensais également à toutes les somptueuses pages que Cioran a écrites sur ses insomnies, pages dans lesquelles je puisai, dès l'âge de 22 ans, un immense réconfort. J'avais l'impression, à lire le philosophe, que quelqu'un avait su décrire mon drame, celui qui se répétait invariablement durant toutes les nuits que le diable faisait. Très tôt, je sus qu'il y avait pire qu'un sommeil bourdonnant de cauchemars : pas de sommeil du tout !
Marie Darrieussecq a donc sublimé ses insomnies dans un livre d'où l'humour n'est, je crois, pas absent. Il paraît que sur certaines pages, on voit l'auteure couverte d'électrodes, livrée à des spécialistes du sommeil qui n'ont finalement pas réussi à la soigner ! Elle m'a fait rire lorsqu'elle a évoqué les bien gentils qui recommandent de la camomille avant le coucher alors que le dérèglement vient de profondeurs que la camomille ne saurait atteindre ! Rire encore lorsqu'elle a énuméré les innombrables expériences auxquelles elle s'est livrée et dont aucune n'a pu venir à bout du problème : méditation, yoga, jeûne.
Un jour, moi à qui les insomnies pourrissent la vie avec un soin qui me rend sincèrement admirative (franchement, je m'incline devant tant de talent !), c'est sûr, je lirai ce livre !
Commentaires
"alors tu passes toutes tes nuits//à t'attendre jusqu'au matin//à plumer au poker des insomnies//ton ange-gardien//alors tu passes toutes tes nuits//parano-safari en égo-trip-transit (bis)"
Il faudrait demander à Marie Darrieussecq si elle a écouté l'album DEFLORATION 13, je ne serais pas étonnée que oui.
Bonne nuit Katell!
Je ne serais pas étonnée non plus ! Je ne lui ai pas posé la question. Une autre fois, si je la revois !