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  • Dimanches d'août, de Patrick MODIANO

    Dimanches d'août : voilà un titre qui résonne comme une bien douce musiquette, n'est-ce pas ? On lit le résumé se trouvant sur la quatrième de couverture, et il y est question d'une histoire d'amour. Alors on se dit que cela fera une jolie lecture d'hiver, à rêver de canicule alors que la neige tombe au dehors... On se prend à rêver. Pour un peu, ce feu qui brûle dans la cheminée, ce serait presque une imitation de la chaleur qui transpire à grosses gouttes sur certaines journées de juillet ou d'août. Pour un peu, on s'imaginerait en train de couler des jours heureux sur la Côte d'Azur. Car c'est là que nous entraîne ce roman.

    Sauf que c'est du Modiano et que c'est donc plus compliqué que ça, moins idyllique aussi. Il va forcément s'agir d'un amour contrarié, de rêves qui se prennent les pieds dans le tapis de la réalité. Notre instinct de lecteur nous informe de ce possible dérapage.

    Et il a bel et bien lieu. Dès les premières pages, un étau indéfinissable se resserre sur nous. On sent une tension sous-jacente, un drame prêt à se jouer. À moins qu'il n'ait déjà eu lieu ? On ne sait pas trop. Mais une menace plane, en filigrane, elle est omniprésente, et c'en est à la fois étouffant et fascinant.

    Le narrateur se plonge dans ses souvenirs. Ces derniers lui reviennent pêle-mêle, ils colonisent sa mémoire pleine jusqu'à ras bord. À l'origine de toute cette histoire étrange, une femme, Sylvia, dont le narrateur s'éprend, mais aussi une fugue, celle de deux amants qui veulent vivre au grand jour leur amour interdit … loin du mari de Sylvia. À l'origine encore, un diamant, modèle Croix du Sud, qui semble receler une malédiction destinée à s'abattre sur qui le porte. Ce diamant, Sylvia l'arbore à l'un de ses doigts. Est-il responsable de toutes les fatalités qui pleuvent sur le couple ? On ne le saura jamais, on ne peut que le supposer, et c'est ainsi que nous parviennent tous les romans de Modiano : dans une brume épaisse que rien ne saurait dissiper tout à fait. Combien de mystères non élucidés sous la plume de cet écrivain ? Combien d'énigmes dont on ne viendra jamais à bout ? Combien d'êtres fantomatiques au passé inavouable, au présent vacillant et au futur incertain ? N'est-ce pas là la grande force de l'écriture de Modiano : nous tirer presque à notre insu par la manche et nous entraîner dans des histoires aux contours imprécis, dont on ne sait, au bout du compte, si le narrateur les a réellement vécues ou si elles ne sont que le fruit de son imagination ? À la fin, le flou persiste généralement. Toutes les pistes restent brouillées. En cela, les romans de Modiano ne sont-ils pas une copie diablement bluffante de la vie elle-même ? Là non plus, pas de réponses définitives, pas de grandes révélations au terme de péripéties suffocantes.

    Je crois que ces dénouements, si particuliers parce qu'ils n'en sont pas vraiment, me plaisent plus que tout. Quand il parle, Modiano ne finit pas souvent ses phrases : logique, la vie ne finit pas les siennes non plus ! Quand il écrit, il laisse en suspens bien des situations : logique, la vie ne fait pas mieux !

    À l'heure où j'écris ces mots, il neige dru sur mes forsythias qui s'étaient déjà crus au printemps, et je vois là quelque chose de poignant. Sous la douceur passagère des dernières semaines, les armes tranchantes de froidures n'ayant pas encore frappé. On n'est pas loin de ce roman, Dimanches d'août, dont le titre est trompeur. Ce n'est pas parce qu'il y est question d'une histoire d'amour se déroulant à Nice que le lecteur doit se croire arrivé en terre d'Éden !