Dimanche de décembre...
Partir … pour avoir le plaisir de revenir. Et, plus précisément, partir sous une pluie glaciale pour avoir le plaisir de revenir à la maison, au coin du feu.
En quelques minutes de marche, poser son regard sur tout ce qui passe à la portée de celui-ci : un vieil arrosoir abandonné au fond d'un jardin détrempé par les trombes d'eau qui se sont abattues sur lui dernièrement, un banc esseulé qui ne servira plus avant belle lurette, un terrain de boules tout pareillement esseulé et dont l'utilisation est tout pareillement remise aux calendes grecques. Et, plus loin, apercevoir un vieux cadenas sur une grille rouillée qui ferme une cour où plus personne ne va. La maison située près de cette même cour est à l'abandon depuis la mort de son propriétaire. Se dire : « Mais à quoi bon s'enfermer ainsi, se barricader de toutes ses forces si c'est pour finir par ne laisser au monde qu'une absence ? »... Se demander pourquoi, en tous temps et en tous lieux, l'homme éprouve le besoin d'écrire partout où il le peut : « Propriété privée. Défense d'entrer ». Pense-t-il réellement que la moindre parcelle de cette Terrre puisse lui appartenir ? Moi qui suis en pleine lecture de Montaigne, je ris doucement en pensant à ces lignes découvertes hier : « Parmi les fêtes et la joie, ayons toujours ce refrain de la souvenance de notre condition, et ne nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que parfois il ne nous repasse en la mémoire, en combien de sortes cette notre allégresse est en butte à la mort, et de combien de prises elle la menace ». Je pense également à cette autre phrase, de Montaigne toujours, qui m'accompagne depuis plus de vingt ans : « Si haut que l'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul ». Bref, ce que c'est que de nous : trois fois rien entre deux silences...
Ces lieux abandonnés, ces objets sans plus d'objet et le vieux sage nous disent tous à leur manière que les saisons passent vite. Celles d'une année, celles d'une vie. Comme il est court, le temps qui s'écoule entre le jour où l'arrosoir sert à imbiber les fleurs assoiffées sous la crampe du soleil et celui où on le relègue au fond du jardin ! Comme sont vaines nos gesticulations, et incongrus nos instincts de propriétaires !
Heureusement, cher Montaigne, et avec tout le respect que je te dois, il est également des heures où nous, les hommes, ne pensons pas à notre mortelle condition. En avoir sempiternellement conscience nous rendrait fous sans doute. L'extrême inverse entraîne tout autant de dégâts, sinon plus : ne jamais penser à notre finitude fait monter à la tête toutes sortes de dangereuses griseries ! Il est peut-être bon de trouver le juste milieu entre ces deux pôles.
Le plaisir qu'il y a à avoir regagné ses pénates après une promenade sous la pluie ? C'est qu'on peut la regarder tomber sans plus la craindre !
Pour le reste, eh bien, c'est un beau dimanche, un peu mélancolique. Un dimanche boueux de décembre, quoi...
Ici même, peut-être bientôt une note consacrée à une de mes lectures, qui sait ?
Commentaires
Vous avez récemment cité Anne Pauly, avez-vous lu son roman ? J'aimerais connaître vos impressions, si cela vous en dit bien-sûr... Très joli compte-rendu de balade qui donne à réfléchir. Je ne passe jamais sans pincement au cœur devant les maisons fermées et sans m'interroger sur leur passé. Mais ne soyons pas trop nostalgiques... Bon dimanche à vous !
Oui, j'ai lu le livre d'Anne Pauly. Il m'a bouleversée. Tout y est si juste... On passe du rire aux larmes, on se reconnaît dans le chagrin, dans l'hébétude que nous laissent les morts face à leur absence. On pense à cette foutue société du "vite, vite, vite" qui nous enjoint de faire rapidement notre deuil. C'est un des plus beaux livres que j'aie lus cette année !
Et vous, Isabelle, l'avez-vous lu ?
non pas encore, mais je vais profiter de quelques jours de vacances début janvier pour lire ce livre qui me tente beaucoup, merci pour votre réponse! Et j'en profite pour vous souhaiter de bonnes fêtes de fin d'année!