Guide des égarés, de Jean d'Ormesson
Jean d'Ormesson était de ces infatigables questionneurs qui semblent interroger uniquement pour la beauté du geste : il n'attendait pas forcément une réponse, il savait qu'il n'y en avait pas, ou que s'il venait à en trouver une, elle ne vaudrait que pour lui. Il avait la délicatesse de ne pas imposer de système au lecteur, il semblait cheminer avec lui, d'un même rythme et d'un même élan. À quatre-vingt-douze ans, il avait gardé dans les yeux une espièglerie enfantine qui réchauffait le cœur. Les épreuves de la vie ne l'avaient sans doute pas épargné – elles n'épargnent personne –, mais il n'en était pas moins incorrigiblement optimiste. Quelque chose en lui (était-ce facétie, élégance ou foi en l'existence ?) refusait de céder au désespoir. Son Guide des égarés témoigne de cette audace. Nous sommes tous des égarés puisque nous ne savons ni d'où nous venons, ni pourquoi nous sommes là, ni où nous allons. Et pourtant, nous dit-il, convaincu, chaque existence recèle ses rubis, fussent-ils infimes. Le souffle de chacun importe dans le grand entonnoir de l'éternité. Nous serons balayés demain, mais cela ne doit pas nous empêcher de prendre notre destin en main. « Il nous faut, dit-il, vaille que vaille, courir après l'impossible et chérir l'utopie. La tâche de Sisyphe est de pousser son rocher ».
On peut puiser dans ces quelques pages (le livre est court et se lit très vite, tout en nous appelant à y revenir souvent, plus tard) de quoi rafistoler un peu son âme quand on la sent faiblir. C'est vrai de toute l'œuvre de Jean d'Ormesson, me semble-t-il, de ce que j'en connais en tout cas. Je la trouve diablement rafraîchissante et revigorante. Le parcours de l'homme me fascine. De tous ceux qui s'offraient à lui, il a choisi celui qui sonnait le plus juste. J'avoue que lorsque j'étais lycéenne, il incarnait à mes yeux un certain nombre de valeurs que je croyais contraires aux miennes. Scolarisée dans le privé contre mon gré, je voyais que les petits richards qui m'entouraient lisaient d'Ormesson avec engouement. Raison suffisante selon moi pour ne pas le lire moi-même. Et puis, les années passèrent et le temps fit alors ce qu'il ne fait pas toujours : il m'aida. Un jour, dans une librairie, je feuilletai un livre de l'académicien. J'eus envie de prolonger le plaisir au-delà des quelques pages que j'avais parcourues. J'avais été conquise. L'enchantement ne devait plus jamais cesser. Plusieurs fois invité à la Grande Librairie, l'excellente émission de François Busnel, d'Ormesson me fit à chaque fois l'effet d'un grand consolateur. À mes questionnements, il ajoutait un soupçon de malice auquel je n'aurais pas pensé. J'avais soudain le sentiment d'être accompagnée. C'était presque plaisant de me sentir embarquée dans la même galère que lui. Maintenant qu'il a quitté le navire, je me sens esseulée, mais ses livres demeurent et je m'en vais continuer à les chérir comme il se doit, leur témoignant la gratitude qu'ils méritent, eux qui m'ont tant donné.