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Der alte König in seinem Exil, un livre d'Arno Geiger

Comment accepter de voir partir, lentement mais tristement, ceux que nous aimons ? Comment ne pas s'enfoncer dans un insurmontable chagrin quand on les voit sombrer dans des brumes d'où ils ne reviendront plus, ou si peu ? Le livre d'Arno Geiger, Der alte König in seinem Exil, renferme, en filigrane, toutes ces questions qui finissent par obstruer l'âme. Quoi de plus réparateur, alors, que l'écriture pour faire face au pire qui nous piège ? Ce qui est affreux, écrit-il, dans la déchéance de ceux qui nous ont mis au monde, c'est qu'il faut désormais faire le deuil du caractère invincible qu'on leur prêtait quand on était enfant. On ne voit pas immédiatement leur descente dans les limbes, on a tendance à s'aveugler. Il est difficile de faire une croix définitive sur les illusions dont il était si bon de se bercer...

 

Le père d'Arno Geiger, August, a été littéralement englouti par la maladie d'Alzheimer. Elle s'est installée insidieusement, se logeant d'abord, comme on a coutume de le dire du diable, dans des détails. Un oubli par-ci, un trou de mémoire par-là, et le cauchemar a déjà commencé sans que personne ne sache encore mettre un mot dessus. La maladie va transformer peu à peu celui dont elle s'est emparée. Mais pas seulement lui. Elle va également opérer, dans son entourage, des métamorphoses dont nul ne pourra plus jamais se défaire. Il y aura désormais une césure dans la vie de ces êtres, et elle la scindera cruellement en deux : l'avant et l'après.

Arno Geiger raconte ici comment il a vécu la déchéance de son père et combien il a dû se faire violence, plus souvent qu'à son tour, pour ne pas l'amoindrir davantage par des paroles infantilisantes ou en tournant les siennes en ridicule. Leurs dialogues ont parfois quelque chose d'ubuesque. Souvent, ils sont empreints d'une grande profondeur, voire de sagesse. De tendresse aussi, toujours. Un jour, August part en promenade. Il met son chapeau et s'exclame : « Bien, mais où est mon cerveau ? » Et son fils de rétorquer : « Sous ton chapeau ». Ce vieil homme faiblissant a quelque chose d'attachant. Que le temps passe vite ou lentement, cela lui est égal, affirme-t-il, il n'est pas très exigeant en la matière. La maladie le rend philosophe à ses heures. Poète aussi. Quand il a perdu le nom d'une notion, il dit de cette dernière : « Je ne sais comment la baptiser ». Et l'on comprend, à travers la restitution de ces propos, en quoi ils peuvent être devenus indispensables pour le fils d'August. C'est comme s'ils venaient mettre le faisceau d'une lumière un peu folle et rassurante dans un monde croulant sous la noirceur. August ne sait plus très bien où il en est, ni où il est, ni qui il est, mais sa vision des choses, farfelue, ne tenant guère debout, rhabille la vie entière d'une certaine poésie. Et surtout : elle a le mérite d'être encore là et de se dire, chose précieuse quand on pense qu'un jour le silence se fera, définitivement...

 

On ressort bouleversé de la lecture de ce livre. On a envie de remercier Arno Geiger à genoux : il soulage nos peines en nous susurrant les siennes. Il allège notre fardeau, au moins momentanément. Il nous dit que, écrivain ou pas, on éprouve toujours le même incommensurable chagrin à voir partir ceux que l'on aime. Quel coup de maître ! Chapeau bas ! Sous son chapeau à lui, il n'y a pas seulement un cerveau, il y a une sensibilité hors du commun, et qui sait s'exprimer clairement, sans que jamais la moindre sensiblerie ne vienne s'en mêler ! En sa poitrine, un noble cœur. En son cœur, l'amour d'un fils pour un père qui fut un jour un roi, un vrai, et qui vit désormais en exil dans des lieux qui lui furent pourtant familiers... Seul en sa citadelle cabossée, il envoie au monde des signaux qui trouvent rarement leur destinataire. Son fils, Arno, est là, lui, ainsi que ses autres enfants, et ils veillent au grain, ils veillent (qu'on me pardonne ce jeu de mots) sur le petit grain qui embrume la cervelle de leur père. Ils sont présents, attentifs et tendres. Sachant, en leur for intérieur, qu'on ne détrône pas si facilement un roi, que l'on s'appelle Alzheimer ou vieillesse, ou que sais-je encore !

Commentaires

  • Je vais lire Le vieux roi en son exil. Et cela me ramène à cette chanson de Thiéfaine que j'adore L'étranger dans la glace. Merci pour vos suggestions.

  • Très heureuse d'avoir suscité chez vous le désir de lire ce livre d'Arno Geiger ! J'espère que vous ne serez pas déçue, n'hésitez pas à me tenir au courant. Très fin et très juste, le rapprochement avec L'étranger dans la glace.

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