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L'astre mort, un roman de Lucien Jerphagnon

L'astre mort, ce fut d'abord un manuscrit qui dormait dans une boîte chez Lucien Jerphagnon. À la mort de ce dernier, sa fille, Ariane, exhuma ce roman et décida de le publier. On y découvre un narrateur attachant, porté à la mélancolie, grand anxieux devant l'éternel, mais qui sait se moquer de lui-même. Avec une saine distance, voire une certaine tendresse. C'est qu'il a fini, malgré tout, par s'habituer à ce curieux compagnonnage avec lui-même et son sempiternel tracassin !

Il part en voyage et, loin de se distraire une fois arrivé à bon port, le voilà qui rumine ses innombrables peurs, ainsi qu'une lourde mélancolie. Il met ses petites angoisses dans les grandes, comme d'autres mettent les petits plats dans les grands. Il a coutume, selon ses propres dires, de « faire pousser des terreurs grimpantes ». Pourquoi ne l'accompagneraient-elles pas lors de son périple ? On ne se quitte jamais : vérité cent fois proférée ! Et pourtant, comme on aimerait qu'elle n'en soit pas une, de vérité ! Les interrogations banales du narrateur (la plus récurrente étant : « ai-je bien coupé le gaz avant de quitter mon appartement ? ») en cachent d'autres, bien plus profondes. En somme, ce qui préoccupe ce personnage, ce sont les questions qui nous taraudent tous un jour ou l'autre : Pourquoi sommes-nous là ? D'où venons-nous et où allons-nous ? Parfois, il croit frôler la clé du grand mystère qui l'a parachuté ici-bas. C'est comme un « message en code aux trois quarts déchiffré » qui se dérobe au moment même où il croit le saisir. C'est frustrant et, en même temps, cela participe de ce que Jerphagnon appellera plus tard la « stupéfaction d'exister »...

Le narrateur, notre semblable, notre frère, félicite les formalités administratives à accomplir avant l'aller et le retour de le détourner pour un temps, certes limité mais ô combien appréciable, des tourments qui l'accaparent habituellement. Sa grande crainte, c'est de « crever sans en avoir assez profité ». « Peur de n'avoir pas assez regardé les arbres, les chats, les fleurs, les champs ; de n'avoir pas assez respiré l'odeur des foins ou du bois qui brûle ; de n'avoir pas assez écouté le chant des oiseaux ». Quelques jours avant de reprendre le train pour Paris, le voilà pris d'une mélancolie foudroyante. Il craint soudain que l'adieu qu'il doit faire à l'Espagne ne soit définitif. Et l'on sent sourdre en lui la terreur de n'en avoir pas assez profité là non plus.

On découvre, dans ce roman de jeunesse, un autre Jerphagnon que celui que l'on connaît. Encore que... Il y a là les prémices d'une quête qui ne cessera de l'occuper toute sa vie durant. La philosophie lui livrera quelques embryons de réponses, jamais de façon définitive, jamais de façon catégorique. Toujours « le Jerph », comme il se nommait lui-même, demeurera celui qui questionne, celui qui refuse les idéologies (parce que, selon le mot de Jean-François Revel, « c'est ce qui pense à votre place ») et les certitudes (et là, je ne peux m'empêcher de citer cette phrase savoureuse de Jerphagnon : « Les gens qui ont des certitudes sont sûrs de se coucher le soir aussi cons qu'ils se sont levés le matin »). Toujours il sera celui qui aime à « mettre le bordel dans les têtes » ! Son roman est magnifique. À sa lecture, notre âme se met à moins grelotter de se savoir, quelque part dans le monde, une sœur en fragilité et en intranquillité ! L'astre mort n'invite pas nécessairement à prendre la route, au sens propre s'entend. Il incite à l'humeur vagabonde quoique sédentaire, il encourage surtout à se réconcilier avec cet étrange soi-même dont on ne pourra se défaire ! Et s'il indique un seul chemin, c'est celui, mystérieux et cahoteux, qui mène à la connaissance de soi. Impossible de poser le barda qui pèse sur nos épaules : autant, donc, s'en accommoder, voire tenter de s'en enrichir !

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