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Fond de cale, de Jean-Claude Pirotte

Fond de cale, c'est le récit d'un homme qui, à sa sortie de prison, s'en va par monts et par vaux, le pied sur l'accélérateur. « Toujours plus loin à fond la caisse et toujours, toujours plus d'ivresse » : les mots de Thiéfaine me semblent décrire à la perfection ce besoin éperdu de vagabondage à cent cinquante à l'heure. Toujours de Thiéfaine, on pourrait également citer : « Mais je remonte mon col, j'appuie sur le starter et je vais voir ailleurs, encore plus loin, ailleurs ».

 

Quelle quête assoiffe cet homme, le narrateur, et le pousse à arpenter tant de chemins et tant de villes où sommeille un bout de son histoire ? Se fuit-il ou se cherche-t-il ? Les deux, mon capitaine ! De rencontres avinées en errances solitaires, il époussette un passé qui n'est plus, il déterre des morts. « Pas besoin de gril », l'enfer c'est soi-même, les blessures que l'on s'est infligées, celles que l'on a faites aux autres et qui se bousculent au portillon de notre conscience, comme si l'on était « poursuivi par mille gendarmes, ou cent mille remords ». Ce qui sauve cet homme ? Les vignes du Seigneur, la douceur des paysages qu'il traverse, leurs « vallonnements brouillons » (quelle belle image!), la « mer endormeuse », la mélodie d'un poème agenouillé comme une offrande dans les replis de sa mémoire. On n'est pas étonné de rencontrer Jaccottet et Milosz dans le murmure de ces 152 pages enchanteresses ! Certains titres de livres de ces deux poètes suffiraient à résumer la vie vagabonde de notre narrateur : Poèmes sur le temps figé, Lumière du jour, Où le soleil se lève et où il se couche, L'hymne à la perle, Des endroits lointains, Au bord de la rivière pour Milosz, Paysages avec figures absentes, À travers un verger, À la lumière d'hiver, Pensées sous les nuages, Notes du ravin pour Jaccottet.

 

Ce qui me plaît dans ce livre ? Le bruissement incessant d'une poésie enflammée, et cela ruisselle ainsi sur 152 pages, comme une coulée de lave en fusion. Le côté à la fois dingue et paumé du narrateur, son amour des mots (« Je n'aurai pas manqué jusqu'au bout de m'appliquer à l'étude du français. Je me survis dans de vieilles manies lexicologiques, risibles et rassurantes ») et cette nostalgie qui le rend inventif, tendre et bouillonnant ! « Je dois être voué à des hasards opportuns », écrit-il, et je ne peux, à la lecture de cette phrase, que penser à l'impulsion qui, jeudi après-midi, m'entraîna dans une librairie messine où m'attendait ce livre bienfaisant !

 

Jean-Claude Pirotte s'est éteint en mai 2014. Il nous laisse, en guise de consolation, de splendides pages que traverse, mains dans les poches et cheveux au vent, une poésie gavroche et buissonnière, fuyant sans le savoir les sentiers battus, se nourrissant tout autant d'humus et de colza que de tabac et d'alcool !

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