Échapper, de Lionel Duroy, ou comment prolonger la lecture de Deutschstunde !
Il arrive qu'une lecture vienne en prolonger une autre. Ainsi le roman Échapper, de Lionel Duroy, est-il le pendant idéal à Deutschstunde de Siegfried Lenz. C'est un peu comme si Échapper était venu me consoler d'avoir perdu si vite Deutschstunde, livre que j'ai dévoré en même pas deux semaines !
Le narrateur d'Échapper a été tellement marqué par la lecture du livre de Lenz qu'il décide de partir sur les traces de l'écrivain allemand, et plus précisément sur celles des protagonistes de Deutschstunde. On le suit dans ses pérégrinations, ses recherches, ses réflexions sur le passé. Son mariage est parti en lambeaux, et il a décidé de ne plus jamais lier sa vie à celle de qui que ce soit. C'est compter sans les caprices du destin et les décisions qu'il prend parfois à notre place ! Il s'installe dans une maison, à Mogeltonder, et il va tomber amoureux d'une certaine Susanne. Tous deux vont vivre une belle et intense histoire d'amour, mais Susanne est mariée et le principe de réalité va vite se rappeler au bon souvenir des deux amants.
Quand, comme moi, on a été littéralement emporté par la lecture de Deutschstunde, on ne peut que se retrouver dans ces mots du narrateur d'Échapper : « C'est peu dire que La leçon d'allemand m'a transporté. Pendant des jours et des jours j'ai habité Rugbüll, tantôt chez le peintre, tantôt chez le policier, empruntant moi aussi la digue puis le chemin de brique pour aller de chez l'un à chez l'autre. Je respirais le vent d'ouest ». Le roman de Duroy mêle plusieurs histoires : celle du narrateur, celle du livre de Lenz et celle d'Emil Nolde (qui aurait inspiré à l'écrivain allemand le personnage de Max Ludwig Nansen). On apprend de nombreux détails de la vie de Nolde, on le voit se débattre avec sa conscience et aller jusqu'à se compromettre avec le régime nazi pour sauver quelques-unes de ses œuvres : « Porté par la nécessité de vivre, et peut-être aussi par la colère, il tente l'impossible pour récupérer ses toiles, passant outre les menaces et les insultes. Il écrit à Goebbels ainsi qu'au ministre de la Science et de l'Éducation, Bernhard Rust, il les supplie l'un et l'autre, puis il se rend à Vienne pour tenter d'obtenir la protection de Schirach (…) Il donne le sentiment de se prostituer pour récupérer son travail, et c'est bien ce qu'on lui reproche aujourd'hui ». Très subtilement, le roman de Duroy pose, déclinée différemment, la question que renfermait déjà, en filigrane, le roman de Lenz : qu'aurions-nous fait dans ces circonstances extrêmes ? Si nous voulons être tout à fait honnêtes, force est d'avouer que nous n'en savons rien...
Commentaires
" Vous me demandez ce que Susanne a de plus que vous, je vais vous le dire : Susanne est en paix avec les hommes, elle ne leur veut aucun mal, elle n'ambitionne pas de me posséder et de m'asservir, elle aime au contraire me savoir libre et vivant pour que je continue d'être heureux et de lui faire l'amour. Longtemps, longtemps. Vous comprenez, ou il faut encore que je vous explique ? "
Il y a là tout de même une aliénation à un instinct intellectualisé.