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Le Désert des Tartares

Lorsque Giovanni Drogo, qui a choisi la carrière des armes, se voit nommé au fort Bastiani, en plein milieu du Désert des Tartares, il pense qu'il n'y restera pas longtemps. Il espère y passer quatre mois tout au plus. Dès le début, l'atmosphère qui règne là l'étouffe et l'oppresse. Il n'a qu'un désir : fuir à toutes jambes. Pourtant, lors d'une première visite médicale censée pouvoir lui permettre d'obtenir une mutation, Drogo refuse de partir. Sans le savoir, il est déjà prisonnier, piégé par ce que Buzzati appelle la « torpeur des habitudes » et « l'amour domestique pour les murs quotidiens ». Il est enfermé dans l'espoir d'hypothétiques batailles contre d'éventuels ennemis venus du Nord, persuadé que quelque chose de grand viendra forcément, ici même, transformer son destin. Le temps passe, rien ne se passe. Un jour, au cours d'une permission, Drogo revoit sa mère et un amour de jeunesse, mais un abîme d'incommunicabilité le sépare désormais de ces deux fantômes du passé. Dépité, il s'en retourne au fort Bastiani et ne le quittera plus. Jusqu'au bout, il espérera que le Désert des Tartares s'animera et deviendra le théâtre d'un combat qui, lui octroyant la gloire, rachètera du même coup l'ennui de sa vie entière.

Le roman de Buzzati est terrible parce qu'il fournit des réponses impitoyables aux questions qu'il pose : vivre, n'est-ce pas toujours manquer sa cible de peu ? N'est-ce pas pourchasser des ombres, étreindre des chimères ? N'est-ce pas se tromper de lieu, se tromper de destinée, souffrir jusqu'à la fin d'un sentiment d'incomplétude ? N'est-ce pas s'attacher à l'enfer, s'engoncer en dépit du bon sens dans des habitudes ronronnantes qui n'ont qu'un seul mérite, celui d'offrir un sol stable et rassurant à nos pas ?

Tout cela me ramène à Thiéfaine (parce que tout me ramène à Thiéfaine, immanquablement) et à son constat sans appel : « J'ai broyé mon propre horizon ». L'œuvre de Dino Buzzati, magnifique, désespérée, ne raconte pas autre chose. Elle dit que l'homme n'a pas son pareil pour se construire ses propres enfermements et aveuglements, elle dit le temps qui passe comme une bourrasque sur une multitude d'occasions manquées, elle nous dit que nos quêtes sont vaines et notre condition labyrinthique, dépourvue de toute issue de secours. Rien de très gai, j'en conviens. Pourtant, il me semble que l'on peut également interpréter les livres de Buzzati comme autant de célébrations du courage humain : jeté au cœur du chaos, et malgré tous les vents contraires qui entravent sa marche, l'homme continue presque toujours à espérer. N'est-ce pas là sa grandeur, sa folie et sa force ?

Commentaires

  • Et l' inespoir, qu'en pensez-vous? Comme pour se protéger des risques d'une déception trop forte ? Un paravent. Sauf que moi je n' y arrive pas. Même quand je sais que les chances sont trés minces, malgré tout je continue à espérer, c'est sans doute dans la nature humaine...effectivement. Contente de vous retrouver sur ce blog. Depuis 2 mois vos billets m'ont manqué. Bonne soirée, et bonne semaine à vous!

  • Bonjour Isabelle, votre commentaire me touche beaucoup. Ce blog a du mal à décoller, j'ai l'impression qu'il n'est pas tellement lu. Mais avoir ne serait-ce qu'un lecteur ou une lectrice (ou une poignée de lecteurs / lectrices), c'est formidable. Merci de vous être manifestée. Je ne parviens plus à écrire depuis quelque temps, j'ai perdu la sève, ou je ne sais quoi. Un drôle de manque s'est installé dans ma vie, et je ne sais combien de temps il va durer... Pour ce qui est de l'inespoir, impossible pour moi. C'est la phrase de Romain Gary (que je cite de mémoire, et donc sans doute de façon erronée) : "tout ce qu'on n'attend plus de la vie et qu'on attend encore malgré tout"... Je chercherai les mots exacts. En tout cas, voilà, je suis plutôt de ce côté-là pour ma part : je n'attends plus rien, et j'attends encore !!!

  • Voilà les mots exacts (incroyable, j'ai ouvert au hasard un de mes innombrables carnets de citations et je suis tombée directement sur ce que je cherchais !) : "tout ce qu'on n'attend plus de la vie et pourtant tout ce qu'on attend encore d'elle". Je suis donc précisément dans ce truc-là. Et, dans les livres de Gary, il y a toujours une phrase qui dit exactement ce que je ressens. C'est affolant. Ce type a écrit tout ce que j'aurais voulu écrire !!!
    Bonne semaine à vous aussi. Je la passerai en Italie pour ma part. Un peu d'évasion !

  • Trés belle citation de Romain Gary en effet! Je la recopie moi aussi ! Merci.
    Je vous souhaite de trés belles vacances italiennes.

  • Les internautes se déchaînent sur le blog de Cabaret Sainte Lilith, ils n'ont pas le temps de venir sur celui-ci... c'est le prix de votre succès!

  • Ce n'est pas grave pour ce blog. Quand bien même il n'aurait qu'une lectrice (en l'occurrence vous !), cela vaudrait la peine de le tenir !
    J'ai passé de belles vacances en Italie. Occupée du matin au soir par des visites, des promenades, des cafés à prendre, des pizzas à déguster ! C'était formidable, mais je suis également heureuse d'avoir regagné mes pénates pour tenter de renouer avec l'écriture !
    Portez-vous bien, chère Isabelle.

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