Les gens dans l'enveloppe, Isabelle Monnin avec Alex Beaupain
A l'origine du projet d'Isabelle Monnin, une liasse de 250 photos mises en vente sur Internet par un brocanteur. Ces clichés sont ceux d'une famille lambda et déroulent, dans leur émouvante maladresse (ils sont banals, souvent mal cadrés, parfois à contre-jour), un quotidien d'une non moins émouvante simplicité. Isabelle Monnin éprouve une vive émotion lorsqu'elle reçoit ces photos en juin 2012. D'emblée, elle sait qu'elle va en faire quelque chose. Car, très vite, les gens dans l'enveloppe sortent de leur mutisme, se mettent à lui inspirer des histoires.
C'est ainsi que naît une fiction. Quelques visages se détachent de l'ensemble et prennent vie : Laurence, la gamine au pull rayé, Michelle, sa mère, qui s'ennuie dans son existence terne, rêve de couper les virages et de franchir les lignes blanches, Simone et Serge.
Très vite, l'envie de rencontrer tous ces gens titille Isabelle Monnin. Elle ne dispose que de peu d'indices pour pouvoir ancrer l'existence de ces individus dans un contexte géographique précis. Ici un clocher, là une plaque d'immatriculation. Elle pense que le clocher pourrait être celui d'une église franc-comtoise. Elle connaît bien la Franche-Comté puisqu'elle en est elle-même originaire. Sur Internet, elle trouve l'improbable : un doux farfelu a recensé tous les clochers de la région. Isabelle Monnin peut situer celui qui apparaît sur de nombreux clichés : il s'agit de celui de Clerval.
Et la voilà qui part à la rencontre de cette famille dont elle ne sait rien et dont elle connaît pourtant des fragments d'intimité. Je ne saurais dire quelle partie du livre est la plus captivante, le roman ou l'enquête. Le tout est accompagné de chansons. Et c'est là qu'intervient Alex Beaupain, ce chanteur que j'aime tant. Il dépeint mieux que personne la fragilité de nos vies, et cette lancinante mélancolie qui nous empoigne devant le si peu que nous sommes. L'univers d'Alex Beaupain et celui d'Isabelle Monnin se marient merveilleusement, ils ricochent l'un dans l'autre, dessinant de jolies ridules sur la surface des eaux du Doubs...
L'ensemble m'a bouleversée et, plus d'une fois, j'ai versé ma petite larme à la lecture de ces pages que j'ai dévorées, ou en écoutant les douze chansons qui accompagnent le tout. Très subtilement, Isabelle Monnin pose plusieurs questions essentielles : que reste-t-il d'une vie ? Qu'est-ce qui en fait le suc, l'universel et le singulier ? Surtout, elle affirme que toute existence, puisqu'elle vaut d'être vécue, vaut également d'être racontée. Voilà une œuvre qui vous prend par la main et vous emmène très loin, sur des chemins de campagne où il fait bon gambader à toute allure. Et au milieu coule une rivière, comme disait Busnel en présentant ce livre à La Grande Librairie. Oui, au milieu coule une rivière, et ses clapotis murmurent à nos oreilles la mélancolique ritournelle des choses qui s'effacent, à peine vécues...