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  • Encore un week-end passé à lire Modiano !

    Les romans de Modiano nous entraînent souvent dans des quêtes labyrinthiques. Quête d'un passé qui n'est plus tout en ne s'étant pas complètement évaporé, quête de sens et/ou d'identité. Parfois, dès les premières pages, on sent que la recherche n'aboutira à rien. Elle est pourtant nécessaire, voire vitale, pour le personnage qui l'entreprend. Et le lecteur dans tout cela ? Il n'a qu'à bien se tenir et suivre ! Quelqu'un l'a pris par la manche et lui a enjoint de l'accompagner dans ses pérégrinations. Et le voilà qui erre dans les rues de Paris, atterrissant régulièrement dans des lieux interlopes où s'échouent des existences pour la plupart privées d'horizon. On n'est pas très loin de l'univers de Thiéfaine et de ses dingues, de ses paumés, de sa rue barrée à Hambourg et des chambres « où les nuits ne durent pas plus d'un quart d'heure » !

    Comme Thiéfaine, Modiano a le don de faire naître des ambiances, de susciter des atmosphères. Je ne saurais dire pourquoi j'adore me retrouver immergée là-dedans jusqu'au cou ! Ces romans qui regorgent d'énigmes irrésolues et de quêtes désespérées présentent de subtiles accointances avec la vie. Elle aussi soulève plus de questions qu'elle n'indique de réponses !

    Avec La Petite Bijou, on est de nouveau dans ce schéma. La narratrice, Thérèse, croise un jour, à la sortie du métro, une femme en qui elle croit reconnaître sa mère, pourtant censée avoir perdu la vie quelques années plus tôt au Maroc, où elle avait disparu sans laisser d'adresse. Nous voilà embarqués dans une histoire mystérieuse et toutes sortes d'interrogations : cette femme est-elle réellement la mère de Thérèse ? Pourquoi a-t-il été dit qu'elle était morte ? Est-elle encore de ce monde ? Quel est donc ce fantôme qui surgit brusquement de nulle part ?

    Que le roman finisse ou non par apporter des réponses à ces questions importe peu, en définitive. Ce qui compte, c'est la mise en route, le déclic qui met le pied à l'étrier, et le long chemin qui s'ensuivra. Finalement, la destination peut bien demeurer « le pays où l'on n'arrive jamais »...

  • Paul Valet : une rencontre. Que dis-je ? Un choc !

    Découvrir un poète et s'enivrer de la parole qui le porte. Tomber en extase devant ses cris et ses silences. Avoir l'impression qu'on ne loge pas très loin de son pays. Ne plus se sentir seul.

    Chaque rencontre poétique se doit d'être un choc frontal. Si l'on ressort intact d'un chant, c'est que ses accents n'étaient pas faits pour nous. Mais s'ils nous percutent, c'est autre chose. C'est qu'il y a évidence. De la première ligne à la dernière.

    Ce matin, Paul Valet est venu à moi d'une bien belle façon. J'ouvre son livre, La parole qui me porte. Et j'ai envie de le recopier intégralement dans l'un de ces petits carnets qui m'accompagnent depuis presque toujours et dans lesquels je consigne, telle une écolière appliquée, les mots que je ne veux pas oublier. J'en ai environ une dizaine. Leurs pages sont un peu meurtries : œuvre du temps, parfois de mes filles qui ont cru bon d'y ajouter leur griffe. Après tout, pourquoi pas ? Ce qui, sur le moment, me fit enrager, est devenu un doux souvenir, celui de deux enfances envolées (envolées, comme le beau château à Clara, disons-nous presque systématiquement, mes filles et moi, dès que nous employons ce mot, « envolé », faisant ainsi référence à un superbe château gonflable que j'avais acheté un jour à ma fille aînée - c'était à Trèves – et qui, à peine arrivé à Nancy, s'était élevé dans les airs, et adieu le beau château à Clara, comme disait Louise. Nous l'avions longuement regardé nous narguer de sa liberté retrouvée).

    Bref, je m'égare. Paul Valet, de son vrai nom Grzegorz Szwarc, naît en Pologne (on s'en serait douté) en 1905. Il est doué pour la musique et parle plusieurs langues (le russe, le polonais, le français et l'allemand). Il s'installe en France en 1924. Le français devient sa langue. J'ai déjà remarqué que les écrivains qui étaient passés par d'autres idiomes avant d'atterrir dans le nôtre l'enrichissaient d'une manière toute particulière. Je pense à Romain Gary, je pense à Hector Bianciotti, ou encore à Cioran.

    La langue de Paul Valet est faite de virages inattendus et d'assemblages surprenants. Elle dit nos impasses et nos manques (« chaque homme est traversé par des voies sans issue »), elle dit aussi combien la vie est vaste et combien cette vastitude nous laisse sur notre faim, nous dont le temps est compté :

    « Nous n'avons pas le temps de creuser nos pensées

    Nous n'avons pas le temps de peser nos paroles

    Qui trahissent notre destin tortueux

     

    Trop de fruits sont tombés sur notre champ caillouteux

     

    On y glisse

    On y tombe

     

    Le surplus nous dévore ».

     

    Ou encore : « J'ai le souffle trop court

    Pour escalader les nuages ».

     

    C'est une poésie qui donne envie de chausser des semelles de vent et d'aller vagabonder dans de grands espaces, des « horizons affamés », comme écrit Paul Valet. C'est une poésie qui met en route. Vers le silence et vers soi-même.

     

    En voici quelques bribes (qui figurent déjà dans un de mes carnets tant aimés !) :

    « La vie du poète

    Doublure déchirée de son œuvre ».

     

    « Prenez soin

    De vos vieux oublis ».

     

    « Le fond de mes yeux

    Est toujours en vacances ».

     

    « Ouvrir un compte courant

    À la banque du vent ».

     

    « Je suis à peine ébauché

    Et déjà ma glaise craque ».

     

    « Sur mes ruines d'homme

    Construire un poème ».