Avec toutes mes sympathies, un livre d'Olivia de Lamberterie
Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé les livres. À huit ans, après avoir lu les Contes bleus du chat perché de Marcel Aymé, j'avais orné le livre, sacré à mes yeux, de commentaires de gratitude. « Je remercie Marcel Aymé pour ses contes ». « Ce livre était très beau, merci maman, merci Marcel Aymé ». C'est marrant, d'ailleurs, cette idée que j'avais eue de remercier ma mère. Non pas qu'elle eût coécrit le bouquin (encore que, sait-on jamais à quoi nos proches occupent leurs heures perdues ?!), mais simplement parce qu'elle me l'avait offert ! Je me souviens des moments magiques passés en compagnie des Contes bleus, je me souviens même de la tristesse qui m'avait traversé le cœur au moment où j'avais lu la dernière phrase du livre.
Il me semble que mon rapport à la littérature n'a jamais changé. Après chaque lecture qui me fiche à terre, je voudrais remercier l'écrivain qui a provoqué ce bouleversement ou déclenché une révélation. Quand un livre me happe littéralement, je rechigne à le quitter. Je voudrais prolonger le tête-à-tête, maintenir l'enchantement à son plus haut degré.
Dernièrement, c'est Olivia de Lamberterie que j'aurais aimé pouvoir remercier. Son livre, Avec toutes mes sympathies, traite d'un sujet grave : le suicide de son frère, Alexandre. Cet homme avait, semble-t-il, tout pour être heureux. La « façade », en tout cas, était clean : une femme et des enfants aimants, une situation plutôt confortable. Mais Alexandre était dépressif, il ne pouvait s'entendre avec la vie, avec les crasses dont elle est capable. Son mal était profond, sans appel et sans espoir. Plusieurs tentatives de suicide avaient inquiété son entourage. Et puis, un jour, un saut fatal dans le vide...
Pour les proches, vivre une telle perte, c'est se demander soudain comment, jour après jour, mettre un pied devant l'autre. Se prendre en pleine face toute la vacuité du monde. Olivia de Lamberterie pose des mots simples sur des douleurs complexes. Elle n'émet jamais de jugement, elle recolle les morceaux d'une existence fracassée. En la lisant, j'ai compris bien des choses, et notamment pourquoi l'on peut (comme moi avec ma mère) refuser de faire le deuil de quelqu'un. D'abord, et là c'est mon petit commentaire personnel, cette expression est horrible, elle suscite en moi des images de chasse d'eau. Ensuite, ras-le-bol de cette société qui nous dicte comment on devrait boire, manger, penser, baiser et enterrer nos morts sous une dalle en béton au fond du jardin, et ciao, n'en parlons plus. « Comment ? Cela fait dix ans que ta mère n'est plus de ce monde et tu n'as pas fait ton deuil ? ». Mais je t'emmerde, si tu savais ! Je n'ai pas fait mon deuil parce que, comme Olivia de Lamberterie l'écrit si bien, cela équivaudrait à faire le deuil de moi-même. Alors pas encore, laissez-moi du temps. Je crois que je n'en aurai de toute façon jamais fini avec ce deuil impossible et jamais fini non plus avec cette société qui voudrait nous empêcher de chialer en rond. Des guides de mieux-vivre, je t'en foutrais, moi ! On a le droit aussi de voir, à l'instar d'un certain HFT, que la vie c'est pas du bubble-gum...
En tout cas, avec toute ma sympathie, je voudrais, comme la petite fille d'autrefois, écrire très simplement : merci Olivia de Lamberterie !